mardi 22 février 2011

This is Egypt : Seconde partie


Après une longue route et une pause dans un salon de thé au milieu du désert ressemblant à un saloon tout droit sorti du Far West, nous arrivons vers 16h au Caire. On nous dépose dans la rue, comme ça, le chauffeur hurlant presque parce que nous prenons trop de temps pour descendre. Nous n’avons aucune idée d’où nous sommes. Nous n’avons aucune carte de la capitale.

LE CAIRE

Un taxi s’arrête rapidement à la vue des trois touristes que nous sommes, bardés de sacs à dos et appareils photos. Nous avions seulement le nom d’un hôtel qu’un ami du kibboutz nous avait donné : Normann hotel. Le chauffeur ne connaît pas. On lui indique donc que le lieu que nous cherchons est censé se situer aux alentours du Sheraton Hotel. La voiture démarre. La ville défile, grandes avenues, ce n’est pas le centre ville pour sûr.
Nous atterrissons dans un hôtel de luxe qui n’est ni le Sheraton, ni le Normann. A la conciergerie on nous propose une « suite junior » à 375 dollars la nuit. Avec les 30 dollars par nuit que le Jerusalem Post donne à sa journaliste pour s’héberger au Caire et notre budget serré de jeunes volontaires, ce n’est même pas la peine d’y penser. Gentiment, on nous donne une carte du Caire en nous déconseillant de sortir de l’hôtel et de ne surtout pas s’aventurer dans le centre ville, où les révoltes ont lieu en ce moment.
En regardant le papier, on arrive à situer le Sheraton. Plein centre ville. C’est parti. Nous prenons un autre taxi, nous voulons aller à notre hôtel, le Normann, dont les prix sont raisonnables. Nous prenons ce qui semble être l’autoroute (ou le périph). Les panneaux publicitaires défilent. L’un deux me fait particulièrement sourire : La version égyptienne d’America’s got talent : Arab’s got talent (Et non pas Egypt’s got talent. Il semblerait que la nation égyptienne s’identifie comme la nation Arabe).
Plus nous approchons de notre but, plus on voit des voitures stationnées au milieu de la rue, des policiers en faction, des gens traversant n’importe comment. Le taxi slalome entre les obstacles. Nous apercevons en dessous de nous (nous sommes sur une parcelle de route en hauteur), la manifestation. Encore plus loin, nous redescendons. Des camions de police encore enfumées ont été brûlés la nuit dernière, des passants immortalisent le moment avec leur téléphone portable… Fenêtres ouvertes, nous fonçons. La plupart des routes sont inaccessibles, en majeure partie à cause du plan anti-émeute établi par la police égyptienne.
A un rond-point, on commence à sentir une drôle d’odeur. Nos nez nous démangent, les yeux nous piquent. Le chauffeur nous propose des mouchoirs en papiers tandis qu’il referme rapidement les fenêtres :  c’est du gaz lacrymogène, nous ne sommes vraiment pas loin des manifs. Notre conducteur, qui ne parle pas anglais, nous fait comprendre qu’il n’est pas possible d’aller en centre-ville, c’est trop dangereux et bloqué.
Le problème c’est que nous n’avons pas d’autre hôtel et que nous ne savons pas où nous sommes, lui explique-t-on. On continue à rouler, sans but. Il ne sait pas quoi nous répondre, tandis que le compteur, lui, nous indique que nous avons largement dépassé l’argent qu’on comptait dépenser pour cette course.
                                                     
« An hotel, any hotel, we want an hotel, s’impatiente-t-on ». Il répète la dernière partie de la phrase en secouant les mains pour nous montrer son incompréhension. Hôtel, hôtel, ressassons nous inlassablement. Il commence à comprendre. La voiture s’écarte du centre ville, les rues deviennent plus calmes. Nous atterrissons finalement à l’hôtel « Beirut », convenable, propre. Dans la chambre, la tension retombe. On allume la télé, CNN. Gros plan sur Le Caire évidemment : Couvre-feu sur la ville dès ce soir, à 18h. On regarde nos montres, il est 17:45. On a eu chaud. Mais on ne peut rien faire. On descend à l’hôtel du restau. Super première soirée… On prévoit déjà avec Andrès de quitter la Capitale demain pour Louxor après vu les pyramides. C’est tout.
Le lendemain matin, on demande un chauffeur. Il va nous accompagner aux pyramides, rester avec nous là-bas et nous amener ensuite à la gare. Dans la rue, les militaires ont remplacé les flics. Il y en a partout : tanks, jeeps, checkpoints. Beaucoup de véhicules de police calcinés encore chauds. On doit passer par le centre-ville pour aller à Giza, aux pyramides. On passe à côté des manifs qu’on aperçoit. On se retrouve bloqués par les militaires aux alentours de la résidence de Moubarak. Mais on trouve des raccourcis, des dédalles. On s’approche de notre but. Sur le périph, apparaît soudain à notre gauche un immense immeuble, en flammes. Andrès s’exclame alors « Y a un immeuble en feu entourés de tanks, je ne veux pas être ici ! ». Je filme. Notre guide nous explique que ce bâtiment héberge le Parti National Démocratique, parti unique de Moubarak. La Révolution est bien en marche.



L’avenue qui mène aux pyramides est bondées. Les gens traversent n’importe comment. Sur notre droite, un hôtel a été pillé et brûlé. Les pompiers sont encore là. Sur notre gauche, un KFC, symbole de l’impérialisme américain, a été complètement vandalisé. On aperçoit droit devant le sommet des pyramides, derrière des palaces pour touristes fortunés.
Mais soudain, alors que nous allions à bonne allure, deux hommes ordonnent à notre chauffeur de s’arrêter. Celui-ci s’exécute une dizaine de mètres plus loin. Le duo s’approche et commence à parler à notre guide. Mon comparse et moi nous jetons des regards inquiets. Que veulent-ils ? Pourquoi notre idiot de chauffeur s’est arrêté ? L’un des deux arabes ouvre la portière arrière et s’assoit à côté de moi dans le véhicule. Je suis plus que surpris, il me serre la main en souriant : « Je travaille pour le gouvernement, l’accès aux pyramides est fermé, mais je peux vous faire rentrer sans problème, pour 50 livres, vous ferez comme tous les autres touristes, ballade à dos de chameau… ». Autour de nous, la foule s’agite, on sent la puissante tension qui règne dans la ville. « Ecoutez, reprend-t-il, il ne faut pas vous inquiéter, ici au Caire c’est un problème entre les égyptiens, entre les riches et les pauvres, il n’y a pas de problème avec les touristes ». Notre conducteur essaie lui aussi de nous apaiser : « Pas de problème, pas de problème ». C’est clair que c’est rassurant, qui t’es toi déjà, tu bosses pour le gouvernement ? Et t’as une carte ou un truc comme ça ? Nous répondons simplement à sa proposition : « Non ». L’homme n’est pas content et il sort rapidement de la voiture.

Nous rebroussons donc chemin, on demande à aller à la gare, pour prendre un train pour Louxor. On veut maintenant sortir de cette ville qui s’embrase. Le chauffeur s’exécute mais nous explique que la gare est entourée par les manifs et qu’elle est sûrement fermée ou très difficile d’accès. Sur la route, on se met à réfléchir, on change de plan. Si on va à Louxor maintenant, qui est bien enfoncé dans le Sud de l’Egypte, on risque de bien galérer pour rentrer en Israël si les évènements actuels s’amplifient. On décide d’aller directement à Dahab, dans le Sinaï, à 2h de voiture de l’Etat-Nation du peuple juif. Ainsi, on vient de passer 24h sans intérêt touristique au Caire, et nous n’allons pas visiter les temples à Louxor. De plus, on vient de perdre beaucoup d’argent entre l’hôtel, les taxis, le visa pour la Capitale… Au moins, on aura participé à la Révolution égyptienne, au bouleversement du monde arabe.
La voiture nous arrête à la même gare routière où nous étions arrivés la veille. Le chauffeur nous aide à acheter nos billets en glissant dans sa poche les billets qu’on vient de lui donner pour la course. Il nous baratine le discours arabe habituel envers les touristes « Vous êtes comme mes enfants, je veux juste que vous soyez en sécurité ! Bonne chance ! ».

DAHAB

La route est longue. On fait exactement le même chemin inverse que la veille… 7h d’asphalte pour se retrouver dans le Sinaï, tout près d’Israël. Dans le bus, on passe un film en arabe. Je ne comprends évidemment rien, mais je devine le sujet grâce aux images : La trame se déroule à Tel-Aviv où un gentil héros Arabe est poursuivi par un méchant inspecteur Juif dont le supérieur portant une kippa se terre dans un cabinet et lui donne des ordres de son bureau orné d’un drapeau d’Israël. On y voit des courses poursuites, des voitures de police israéliennes se crasher et s’embraser… Ce n’est pas une blague. De nombreux symboles du judaïsme y sont dépeints et interprétés, et les principaux personnages sont bien israéliens ET Juifs. Bref.

Nous débarquons à Dahab aux alentours de 22h. Nous n’avons aucune indication d’hôtel. Un homme nous attend pourtant à la sortie du car. Il est « branché » à l’égyptienne : cheveux teints en blond et accent tout droit sorti des séries américaines ringardes. Il travaille pour un hôtel, nous propose un prix alléchant et nous invite simplement à « venir voir la chambre pour vois si ça vous plait ». Je regarde autour de moi. Rien. On accepte de le suivre. On monte à l’arrière d’une jeep 2 places style « travaux dans le bâtiment », à l’endroit découvert où l’on pose habituellement les bagages et les choses qu’on veut transporter. Les cheveux au vent, on s’accroche à ce qu’on peut dans les virages.
L’hôtel n’est pas trop crade, il y a même une piscine, et pour moins de 10 euros la nuit, ça va. Les résidents sont tous des Arabes, et les femmes sont toutes voilées. Exténués, nous nous couchons après avoir fait un rapide tour de la station balnéaire.

Les jours qui ont suivis ont été d’une étonnante banalité touristique. Seulement quelques anecdotes sont notables.
Le type qui est venu nous chercher à la descente du bus nous propose de participer à une excursion organisée au mont Moïse. Marche jusqu’au au top dans la nuit et lever du soleil au sommet de la montagne où l’un des fondateurs du Judaïsme aurait reçu les 10 Commandements. Pendant que nous discutons du prix, il nous demande si on fume. Seulement la chicha de temps en temps. Rien d’autre ? ajoute-t-il. Non. Relax, c’est les vacances, si vous avez besoin de quelque chose, venez me voir, finit-il par dire. Intéressant.

Dans le minibus qui nous mène avec 8 autres touristes au mont Moïse, nous passons plusieurs check-points militaires. Il y a un autre minibus devant nous. Ces mesures de sécurité sont courantes et ne sont apparemment pas dues à l’atmosphère révolutionnaire ambiante. Cela semble commun dans une région qui je viens de l’apprendre est frappée régulièrement par des attaques terroristes envers les ressortissants étrangers. Mais pourtant, au milieu de la pénombre, un groupe d’une trentaine de bédouins, visages couverts de keffiehs et parés de  kalachnikovs, nous barre la route. Le premier minibus est encerclé par les nomades qui commencent à hurler, arme à la main. Nous nous arrêtons juste derrière. Les touristes à l’intérieur se réveillent, Andrès annonce « Am I the only one the be worried right now ? ».
La tension monte, d’autres bédouins accourent vers le premier minibus. Les portières restent fermées. Un plus gros car arrivent derrière, décale sur la gauche pour passer. Les bédouins tentent de le bloquer mais le chauffeur ne s’arrête pas et en pousse doucement quelques-uns en manœuvrant. Finalement, le premier minibus démarre et nous suivons, sans encombres. J’observe par la vitre arrière l’attroupement s’éloigner. Que voulaient-ils ?

Les différentes étapes du séjour furent agréables. Nous avons fait du quad dans le désert, plongé dans le « Blue Hole », magnifique cavité d’une centaine de mètres de profondeur dans la Mer Rouge où l’on peut admirer quantité de Corail et de poissons exotiques. Les quelques jours ont vite défilés et nous retournons rapidement en Israël, à bord d’un minibus privé mandaté par l’hôtel. Nous sommes 4 touristes à l’intérieur, en direction de la frontière. Le chauffeur nous demande nos nationalités. Un type répond rapidement « Australia » avec un fort accent anglo-saxon. Le conducteur rétorque « Israhil ? (Israël en arabe) ». No, Australia. Israhil ?! No, AU-ST-RA-LIA. Ca va. On continue la route, bercés par des versets du Coran qu’il met à fond dans l’autoradio.

Le passage à la frontière m’a fait le même choc qu’à l’arrivée en Egypte. Nous n’avons eu aucun problème pour passer. En faisant mon premier pas en Israël, je ressens toute cette pression qui s’évanouit. Je me sens en sécurité.

samedi 5 février 2011

This is Egypt : Première partie


J’avais prévu ce voyage depuis plus d’un mois. Avec mon camarade Andres (Equatorien), nous avions décidé d’aller en Egypte, du vendredi 28 Janvier au Mardi 1er Février. Le voyage est court mais nos destinations majeures : Le Caire, Luxor puis le Sinaï. Mes jours de congés à l’usine étaient pris, et je m’étais battu avec mon boss pour les avoir.
Peu de jours avant notre départ, les manifs et les révoltes commencèrent. Le grondement populaire de la plus grande nation arabe contre le totalitarisme, la pauvreté et l’immobilisme politique n’avait pourtant pas altéré notre détermination. Malgré les recommandations familiales, les personnes en charge des volontaires au kibboutz nous implorant de rester, notre décision était prise. Nous irions en Egypte. Nous pensions que les quelques morts au Caire durant les protestations n’étaient que le reflet de la répression dictatoriale, et que le mouvement s’essoufflerait rapidement. Nous étions naïvement à côté de la plaque.

Jeudi 28 Janvier dans l’après-midi. Nous sommes déjà à Haïfa, réservant nos billets de bus en direction d’Eilat, aller et retour le mardi 1er. Nous voyageons de nuit. Nous faisons un crochet à Tel-Aviv où nous devons attendre plusieurs heures pour prendre le bus de minuit pour la frontière. Nous achetons deux canettes de bière et patientons dans le hall de la gare routière. Une jeune femme de 25 ans s’assoit à mes côtés. Elle nous entend parler du voyage et m’interpelle en anglais : « Oh, vous allez passer quelques jours dans le Sinaï, c’est sympa ! ». Nous lui expliquons que nous avons surtout planifié de se rendre à la capitale égyptienne pour voir les pyramides et le musée du Caire, puis d’aller à Luxor visiter la Vallée des Rois, la Vallée des Reines et autres temples pour finir nos derniers jours de vacances à Dahab dans la Sinaï au bord de la Mer Rouge, histoire de se relaxer et dépenser notre argent en restaus et activités touristiques. Elle nous annonce alors : « Justement, je vais au Caire moi aussi. Je suis journaliste au Jerusalem Post et je dois couvrir les évènements. Nous n’avons qu’à faire la route ensemble ». Chose dite, chose faite. Pour ma part, j’ai ma caméra avec moi et je compte bien filmer tout ce que je vois, spécialement au Caire.

Nous arrivons à Eilat à 4:30 du matin. Nous prenons un taxi pour la frontière, nommée Taba. Le chauffeur nous signale que personne ne va en Egypte en ce moment, à cause de la situation délicate qui règne dans le pays. En effet, le poste de contrôle est vide de touristes, peut-être parce que nous sommes en pleine nuit, pense-t-on. Nous voyons quelques badauds rentrer en Israël. Nous nous dirigeons vers le passage pour les départs. Les contrôles sont effectués par des femmes soldats. Nous changeons nos shekels en livres égyptiennes. Tout se fait rapidement, dernier contrôle, dernière vérification des passeports et tampon de sortie. Nous faisons un pas de plus, nous sommes en Egypte. Et là, rien. Personne. Nous commençons à marcher quand un homme affalé sur une chaise en plastique à ma droite, somnolant complètement, nous baragouine en arabe. Il contrôle mon passeport car je suis le plus proche de lui, puis quand mes acolytes s’apprêtent à donner le leur, il nous fait signe d’avancer, sans même jeter un œil à leurs documents de voyage, puis se rendort. Nous continuons la route qui s’élance devant nous. Après 50 mètres, un énorme panneau bleu nous hurle à la figure, en arabe et en anglais « WELCOME IN EGYPT ».


Encore un peu plus loin, on entre enfin dans le poste de contrôle égyptien, partie « Arrivals ». Le changement avec Israël est radical. L’odeur du hall est saisissante, ça sent le vieux, le renfermé. Des néons blancs chancelants éclairent le sinistre endroit. Un homme délégué pour un hôtel de Luxe à Taba est plongé dans ses rêves derrière son comptoir orné d’images de pyramides et de palmiers. Nous continuons à avancer. Le portique électrique et le tapis roulant de contrôle des bagages et maintenant devant nous. Personne. Nous hésitons à passer le portique par nous-mêmes quand deux militaires apparaissent enfin, les yeux encore assoupis. Leurs uniformes noirs ressemblent à des déguisements tout droit sorti des parades militaires communistes des années 70. Manches trop longues, veste trop large. Ils se décident à nous faire passer la sécurité. Nous déposons nos sacs sur le tapis roulant. Je traverse le portail électrique après avoir déposé le contenu de mes poches dans un petit panier en plastique rafistolé avec du scotch, ressemblant à ceux qu’on utilise chez les épiciers à Paris pour choisir des sucreries. Mon passage fait quand même sonner la machine. On me palpe à peine et me fait signe que c’est ok. J’aurais pu facilement dissimuler une arme à l’arrière de mon jean, dans mon dos, les israéliens n’opérant aucune fouille pour sortir d’Israël : c’est le problème des égyptiens.

Maintenant, on doit attendre le « Capitaine », qui doit tamponner nos passeports. Il arrive au bout de cinq minutes. La quarantaine, une moustache fine et le charisme de chef qui va avec. Souriant, il nous demande si nous avons déjà un visa. Pour rester dans la région du Sinaï, nous n’avons pas besoin de visa. Un laissez-passer de 14 jours est donné gratuitement aux touristes. Par contre, pour se rendre au Caire, un visa est nécessaire, et il est payant « bien entendu ». Nous n’avons pas de visa, et le capitaine nous indique qu’il faut aller au Consulat égyptien à Eilat pour s’en procurer un. Retraverser la frontière, retourner en ville, attendre que le Consulat ouvre (nous sommes maintenant vendredi et il nous dit qu’il est fermé). Nous lui disons qu’on nous a murmurés que l’on pouvait en obtenir un ici. Il réfléchit, non ce n’est pas possible…Nous imitons des mines décrépies. Attendez. Il y a peut être une solution, nous glisse-t-il. Nous pouvons négocier avec un guide égyptien assermenté qui nous mettrait comme clients de sa compagnie de voyage, ce qui nous permettrait d’avoir un papier officiel, et ainsi d’acheter un visa pour le Caire ici-même. Mais où trouver un guide à 5h du matin dans ce lieu alors qu’il y a personne, et surtout comment le reconnaître et l’interpeller ? « Attendez un peu, peut-être qu’un guide va arriver. Si j’en vois un, je lui dirai de venir vous voir. Sit down, welcome in Egypt », finit-il par répondre. Cette fin de phrase m’a particulièrement marqué : L’Egypte, le monde arabe. S’asseoir, attendre, patienter. C’est clair, le temps ne s’écoule pas de la même façon ici.

Au bout de quelques minutes, un guide, comme par magie, à moitié endormi comme tous le monde ici, se dirige vers nous. Il nous fait sa proposition, 60 dollars américains pour la magouille et 15 dollars pour le papier. Nous négocions. Le monsieur est ferme, mais cède un peu. On s’en sort pour 50 dollars en tout, payable en livres égyptiennes. Il chuchote ensuite au capitaine, qui nous fait finalement le visa. This is Egypt.

Le jour se lève sur Taba. Nous marchons le long de la route qui doit nous mener à la gare routière, direction Le Caire. D’un côté la Mer Rouge, quelques hôtels, et de l’autre, les magnifiques montagnes du Sinaï. Nous sommes abordés par des chauffeurs de taxi bédouins douteux, têtes couvertes de keffieh rouge et djellaba, qui nous proposent des prix imbattables pour 7h de voiture. L’un deux nous lance même un « Boker Tov (« Bonjour / Bon matin » en hébreu) » avec un fort accent arabe. Nous ignorons les différentes demandes.
On prend un thé en attendant notre bus. On doit négocier pour tout, et on a le sentiment de se faire toujours avoir. Le bus n’est pas trop pourri.

Nous voilà enfin direction Le Caire, 7h d’asphalte abîmé qui commence. Nous sommes les seuls étrangers dans le véhicule…



mercredi 29 décembre 2010

Le prolétariat israélien


Mivrag. C’est le nom de l’usine dans laquelle je travaille. Mivrag fabrique toutes sortes de vis, des pièces uniques pour des voitures ou des tanks, aux pièces génériques pour la construction de meubles. Mivrag produit également des munitions (dont nous ne voyons que très rarement la couleur) à destination de l’armée. Les volontaires et les oulpanistes, nous bossons dans la partie de l’industrie qui s’occupe d’empaqueter les vis pour des commandes spéciales, dans des boites de petites tailles. On travaille dans ce qui ressemble à un grand atelier, à l’écart du complexe principal.

Je suis maintenant un ouvrier, et socialiste s’il vous plait. Tous les matins à 7h, je me dirige vers l’usine qui est à 5 minutes à pied de ma chambre.
Là-bas, on est accueilli par notre chef, un café et des biscuits. On commence rapidement.
Le plus souvent, je suis assigné à une machine qui s’apparente à un énorme entonnoir. En haut, je fais basculer un énorme caisson rempli de vis avec l’aide d’une autre machine. Les vis ainsi déversées tombent en petite quantité à l’autre bout de l’entonnoir dans une petite boite en carton, elle-même posée sur une balance qui m’indique le nombre de pièces recueillies.
Quand la boite est pleine (la contenance change selon les modèles de vis bien entendu), on y colle un sticker référentiel et le tout passe à l’étape suivant, l’emballage. 

Mon outil de travail
 
Un jour, on m’a donné pour un certain type de vis des stickers avec des informations écrites en anglais, ainsi que le nom d’une autre entreprise, alors que normalement, c’est toujours MIVRAG qui est inscrit sur les infos. Etant à court d’autocollants, je me dirige vers l’ordinateur pour en réimprimer. Un peu plus tard, mon chef me fait remarquer mon erreur. J’ai imprimé des stickers avec des inscriptions hébraïques. « No, no. That is going to arabs coutries. You must change stickers ». Je comprends mieux maintenant le nom d’une entreprise écran, les inscriptions en anglais…

Il est 9h, nous avons notre première pause. Une employée, aidée par une volontaire, arrive avec un chariot rempli de sandwichs faits maison : Thon, fromage, jambon de poulet… C’est parti pour une demi-heure de petit déjeuner autour d’une table de jardin dans l’énorme hangar adjacent.

On reprend le boulot, puis on a une nouvelle pause à 10h45. On va enfin déjeuner à 12h30 et on reprend à 13h30. Encore une pause de 14h45 à 15h.
Nous opérons les mêmes gestes jusqu’à 15h30 environ, heure à laquelle on doit ranger les vis qui trainent un avec aimant au bout d’une tige métallique. C’est notre balai.

A 16h, après avoir pointé, on est enfin libres.

Mivrag, la partie où nous travaillons


Là, commencent nos activités « extrascolaires ». On a pris l’habitude avec quelques camarades de jouer au football après le boulot, jusqu’au dîner. Parfois, des enfants du kibboutz jouent avec nous, et je dois avouer qu’ils atteignent presque, et de façon inquiétante, notre niveau. Certains ont 7 ou 8 ans. Et quand c’est les ados qui jouent contre nous, ce n’est même pas la peine de penser à gagner une partie.
On arrive au diner crado. Ensuite c’est la douche et la glande qui commence. Certains trainent dans leur chambre, sous leur porche, dans la salle des ordinateurs ou dans la salle TV. Moi je fais un peu de tout.
Quand le pub est ouvert (Les mardis, jeudis et vendredis), on y va. Le pub ressemble à tous les pubs de petites villes occidentales. Il fait sombre à l’intérieur, le bar est en bois, les tables aussi. On doit préalablement acheter une carte pour pouvoir payer nos boissons. Le barman n’accepte pas l’argent. C’est le kibboutz…
On fait aussi des feus devant notre porche et on boit quelques bières…

Vendredi dernier, on est sortis en boite, à 15 minutes à pied du kibboutz. Là-bas, après que mon pote hongrois ait baragouiné en hébreu au videur qu’on était des jeunes immigrants, on passe la fouille corporelle et passent devant la caisse. Même tchatche. On rentre gratuitement.
Boite de province, mais sympa. La musique, assez inconnue. Les bières ne sont pas chères, les shots aussi.

On rentre vers 3h, à pied. A mi-chemin, alors que la majorité de mon groupe ne marche pas droit, une petite voiture citadine s’arrête à notre niveau. Une jeune fille, seule, nous demande où nous allons : Kibboutz Ein Hashofet. « Ok, I take you ». On était 5, et avec elle ça faisait 6. On est rentrés difficilement dans son véhicule.
La gentillesse de cette nana, à qui on n’avait rien demandé, s’apparente à la bienveillance des israéliens. Certes, ils ne connaissent pas la politesse et sont plutôt rudes, mais on sent que la plupart d’entre eux cherchent aider.

La vie ici est jalonnée entre le travail et la fête. Les groupes sont constitués. Chacun semble avoir trouvé sa place.

Les oulpanistes et les volontaires sont vraiment mélangés, et il est intéressant de connaître leurs histoires, leur relation avec le judaïsme.
Il y a des Juifs qui ont été élevés dans l’idéologie du Sionisme. D’autres encore sont nés de parents israéliens qui ont quittés le pays avant ou après la naissance de leur enfant. Il y a ceux qui ont seulement un grand parent juif, et qui ont le droit à l’immigration. Ceux-là sont souvent des immigrants « économiques ». Il y a celui qui ne peut pas prouver sa judaïté car sa grand-mère maternelle a perdu tous ses papiers l’attestant. Heureusement que sont grand-père en a, ce qui lui permet de faire le programme.
Il y a ces Sud-américains, non immigrants et non-juifs, et qui participent à l’oulpan en payant (ça coûte très cher quand on n’est pas immigré et qu’on n’a pas de bourse), juste car ils sont intéressés par Israël et le Judaïsme. Il y a encore cet américain, dont on a m’a raconté qu’il s’est échappé de Brooklyn et de sa famille juive ultra-orthodoxe pour venir ici, et mener la vie dont il a envie.
Et puis il y a les Russes. La plus grosse « communauté » parmi les oulpanistes. On ne leur parle que très peu, vu qu’ils ne parlent pas anglais. Ils sont assez avenants, mais il faut faire l’effort d’aller les voir. Un soir, on a entendu de la musique à un niveau assez fort en provenance de l’une de leurs chambres. Avec mes amis américains, australiens et européens, on est allés toquer pour y participer. On est entrés et avant que je puisse dire « Shalom », on me tend un shot de whiskey et un verre de coca… « Lehaïm » se lance-t-on mutuellement. De la bouffe russe, faite maison, était à notre disposition sur les tables.
La musique américaine, le néon blanc qui éclaire la pièce, les Russes qui dansent et parlent en russe… Assis sur un coin de lit, je me rends compte de ces moments uniques que je suis entrain de vivre. Je ne les vivrais nulle part ailleurs.

Déjà, il est l’heure d’aller se coucher. On reprend le boulot le lendemain, inlassablement. Maintenant qu’on se connaît mieux, on commence à déconner entre collègues volontaires et oulpanistes. Avec mon pote hongrois, on se jette des cartons, des vis, et on essaye de saboter le travail de l’autre juste avant que notre supérieur vienne contrôler. On change les stickers, on rajoute des vis dans les boites, on change les données des machines. Mon chef doit me prendre pour un attardé avec tous les trucs que mon collègue m’a fait faire.

Le boulot d’ouvrier, c’est aussi trouver des petites choses pour pimenter sa journée, car sinon, chaque jour ressemble exactement au précédent. Cruellement.
C’est d’ailleurs en pensant à ça et en en parlant avec mon père, que ce dernier m’a dit : « Bah ouais, le seul truc sympa à faire dans une usine, c’est un syndicat ». C’est tellement vrai. Nous sommes abrutis par un travail partitionné au millimètre. Ainsi, la seule chance d’avoir un minimum d’activité intellectuelle, c’est de faire un syndicat, de monter une association, pour défendre une lutte ou des droits. La puissance de nos unions ouvrières en France proviendrait-elle tout simplement de ce phénomène ? On se fait tellement chier à l’usine, que si on nous donne un local pour se réunir, on va se donner à fond pour défendre une idée, pour faire évoluer nos conditions. On n’a tellement rien d’autre à faire, qu’on est forcément motivés, donc puissants… En tout cas si on me donnait la possibilité maintenant, je monterais directement un syndicat des « Travailleurs volontaires étrangers », et je réclamerais plus de pauses et un salaire plus élevé.




 

dimanche 12 décembre 2010

Du Sud au Nord


Je quitte enfin Lahav, son industrie porcine (unique en Israël), son supermarché avec Dorit, et les gamines de 16 ans du kibboutz qui souvent nous visitaient Gustavo et moi afin d’affiner leur talents de séduction fraichement révélés. Je quitte aussi les autres volontaires, que je n’ai finalement pas vraiment connus, et que je n’ai pas eu envie de connaître.
Deux jours avant mon départ, deux nouveaux bénévoles sont arrivés. Même réaction que Gustavo, même réaction que moi. « Wait a week », c’est ce que tout le monde leur dit.

Moi, j’aurais finalement attendu quasiment un mois avant de partir. C’est qu’au final, on s’y habitue au kibboutz. On commence à connaître le lieu, son boulot, le rythme et les habitants.

Après plusieurs appels au KPC, j’ai enfin obtenu un « choix » : on me propose deux kibboutz.
Le premier, Yotvata, est situé tout au Sud du pays à la frontière de la Jordanie, à 30 km d’Eilat. Le kibboutz possède une très grande industrie laitière et cultive de nombreux fruits et légumes. La population y est pourtant plus faible qu’à Lahav. Et c’est le désert, encore plus au milieu de nulle part d’où je suis actuellement. Le boulot est dans les champs.
Le second, Ein Hashofet, est situé dans le Nord du pays, entre Haïfa et Nazareth. C’est un kibboutz réputé pour son environnement vert et très agréable. Il possède un oulpan destiné principalement aux nouveaux immigrants, étudiants pour la plupart désirant continuer leurs études supérieures en Israël. Son industrie principale est une usine de plastique et d’électronique. Le boulot ici, c’est ouvrier à l’usine.

Après avoir longtemps réfléchi, discuté avec des proches et la famille lors de Hannoucah, j’ai choisi Ein Hashofet. C’est sûr que le boulot proposé n’est pas très motivant, mais d’autres facteurs entrent en jeu. Une ambiance étudiante, plus de volontaires, un kibboutz près de ma famille et un environnement verdoyant.

On est vendredi matin, je quitte Lahav. Je pose les clés de ma chambre sur la table de nuit, mais je garde le porte-clés Heineken « ouvre bouteille de bière » qui y était accroché. Simplement magique, ce porte-clés.
Les autres volontaires travaillent, sauf Gustavo qui a pris son Vendredi pour jouer un match de foot à Tel-Aviv avec les kibboutzniks. Je lui dis au revoir et on se donne rendez-vous en Europe. Ronnie, le leader, ne peut m’accompagner à l’arrêt de bus car il est en « meeting », je fais donc du stop. L’homme qui s’arrête avec sa Subaru flambant neuve me fait la discussion. Il s’occupe de la gestion financière de Lahav, mais habite dans un autre kibboutz. Son père a été ministre d’Israël et connaissait Jean-Paul Sartre. Intéressant.
Je n’ai dit au revoir à personne en partant.

Dans le bus, je suis léger. Etrange mois que je viens de passer.

Tel-Aviv. Le temps est pourri. Je retrouve une amie qui m’héberge gentiment pour le week-end. On passe un shabbat reposant, cassant le rythme de travail que j’ai habituellement.

On arrive vite au dimanche matin. J’ai rendez-vous en début d’après-midi à Ein Hashofet. Je prends deux bus. Le premier jusqu’à Yoqnéam, petite ville du Nord, tandis que le second m’emmène sous la tempête jusqu’à mon nouveau kibboutz. J’appelle pendant le trajet la coordinatrice des volontaires, ma nouvelle leader, Cathy. Elle ne répond pas. Après 4 appels infructueux, j’arrive dans le kibboutz, seul. Il pleut des trombes, je suis trempé. Je rentre dans le premier bâtiment que je vois : l’infirmerie. « I’m looking for Cathy ». On l’appelle. Un volontaire vient me chercher en parka jaune de pêcheur, à bord d’une voiturette électrique. Il m’emmène au bureau de Cathy.
Elle se présente, on se serre la main. Elle m’explique longuement le fonctionnement du kibboutz. Elle me donne en plus un fascicule qui résume ses explications. Elle me donne des draps, et des vêtements de travail : un gros pull, deux pantalons, trois t-shirts, des nouvelles chaussures avec protection, ainsi qu’une grosse veste kaki militaire. Il pleut toujours, et l’orage commence à gronder.
A Lahav, on ne m’avait rien donné pour travailler, ni même des chaussures pour le jardin. Autant dire qu’ici ça change.

Cathy m’accompagne à ma chambre que je vais partager avec un hollandais qui est parti cette semaine à Jérusalem. Je ne le rencontre donc pas.
Je tourne la clé dans la serrure et j’ouvre. Des murs blancs. Propres. Pas de tag. Un vrai lit, avec une vraie couette, un oreiller propre. Une armoire en bon état, un vrai bureau entre les deux couches. Le bâtiment a été refait il y a 1 an. Ça fait du bien.
La salle de bains, une vraie salle de bains. Le carrelage est blanc. C’est propre, tout simplement.

Ma nouvelle leader me laisse, me caresse maternellement l’épaule pour me dire au revoir et ajoute que le kibboutz est très heureux de m’avoir. Je souris.

Assis sur mon lit, j’observe. Je respire. Ça commence plutôt bien. Les locaux sont vraiment agréables.

Déjà, j’entends les premiers volontaires arriver du travail. Il est 16h. Un équatorien s’approche. Je travaille dès demain à l’usine avec lui et deux autres volontaires. Il m’explique que le travail consiste en empaqueter des tournevis dans leurs boites, avant qu’ils soient expédiés vers les revendeurs. C’est sympa, parce qu’on a le vendredi et le samedi de congé, contrairement à tous les autres qui n’ont que le samedi. Bonne nouvelle.
Un mexicain se joint à nous. Puis un Sud-Africain vient frapper à ma porte. Pour l’instant ils sont vraiment sympathiques. Tous les gens que je rencontre prennent le temps de se présenter.

Nous vivons côte à côte avec les oulpanistes, de jeunes immigrés pour la plupart, ici pour apprendre l’hébreu et continuer leurs études en Israël.
A l’heure du diner, l’équatorien vient me chercher dans ma chambre. On part pour le dining room. On est rejoints par le mexicain, une américaine, un américain oulpaniste et d’autres sud-américains. Oulpanistes et volontaires sont mélangés.
Une anglaise s’assoie à notre table. Elle vit depuis ses 13 ans en France. Elle porte une large étoile de David en collier. « You’re Jew ? » me demande-t-elle, comme l’ont fait trois personnes auparavant. « Seulement par mon père ». Elle aussi, tiens donc. On finit le diner tous les deux à discuter du Judaïsme.

Elle me fait ensuite visiter la salle des ordinateurs, organisée comme une salle de classe, avec beaucoup de tables sur lesquelles les étudiants en hébreu font leurs devoirs. Je rencontre là un jeune roumain, qui vient de faire son alyah, et qui a très envie de visiter la France. Il se pose à une table avec ses cours et son ordinateur. Un oulpaniste hongrois, à l’allure de bucheron, vient me saluer et consulte ses mails.
Je retrouve là l’oulpaniste américain, Josh. Ca fait deux ans qu’il vit en Israël, mais a fait son alyah il y a quelques mois seulement. Il parle hébreu. L’armée, c’est en août prochain pour lui. Il n’a pas de famille dans le pays, il est seul. C’est plutôt courageux à vingt ans. Je me demande alors : Qu’est-ce qui peut pousser un jeune Américain, bien installé dans la première puissance économique mondiale, à partir seul dans un pays lointain à 20 ans, commencer une nouvelle vie, difficile, sans argent, sans repères ?
La réponse est idéologique. Contrairement peut-être aux Russes et aux Éthiopiens, qui ont aussi fui une certaine misère économique, cette immigration doctrinale, en provenance des pays riches (qui est d’ailleurs de plus en plus faible), incarne l’esprit même du sionisme : vivre en tant que Juif (non pratiquant bien souvent) dans l’Etat-Nation du peuple juif. La simple idée du peuple vivant sur sa Terre, et non plus en diaspora.

Sur ces questionnements, je retourne dans ma chambre. L’orage fait trembler les murs. J’attends maintenant mon premier jour de travail.

mardi 30 novembre 2010

Sentiment guerrier, usine de jus de fruits et Palestine

Le kibboutz Lahav, du haut d'une tour

Ce soir nous allons regarder le clasico Real Madrid contre Barça dans le bar du kibboutz d’à côté, Dvir. Asaf, le jeune kibboutznik responsable du dining room qui a sympathisé avec les volontaires, emmène mon pote guatémaltèque, espagnol et moi-même en voiture.
En cinq minutes, on arrive. Le pub est en fait un bâtiment en forme d’énorme champignon. A l’étage, on boit. En dessous (la « tige » du champignon), c’est un abri anti-missile. Ca pose le cadre. Je viens d’apprendre par ailleurs que mon kibboutz, Lahav, est situé à moins d’1 kilomètre des Territoires Palestiniens de Cisjordanie (Je vous conseille Google Maps à ce propos). Je comprends mieux pourquoi y a des bunkers tous les 10 mètres.

Quelques centaines de mètres plus loin, la Palestine

En bas de l’escalier qui mène au pub, un attroupement d’une quinzaine de jeunes kibboutzniks, de Dvir et de Lahav. Ils ont plus ou moins 25 ans et on voit qu’ils ont fait l’armée. Ils saluent chaleureusement Asaf tandis que nous, les volontaires, engageons de timides « Shalom ». Un gros barbecue est en préparation.
Ici, les pintes de Goldstar, la bière typique israélienne, sont à 2 euros. Le cadre est sympa, les canapés sont confortables et la télé HD est géante. On est posés. A la mi-temps, le carnage du Barça déjà bien commencé, mes potes et moi décidons de descendre pour manger un bout. Une petite participation au barbecue nous avait été suggérée par Asaf. On s’apprête donc à sortir nos shekels quand un kibboutznik de Dvir nous accoste.

En pull à capuche et jeans, il porte un fusil mitrailleur en bandoulière comme un vulgaire sac d’étudiant et un talkie walkie dans la poche arrière de son pantalon. Il représente parfaitement ce que j’appelle le « Guerrier Juif ». Israélien et je pense sioniste convaincu, il assure la sécurité de sa communauté,  visiblement obligatoire dans cette région du Néguev dès qu’une dizaine de jeunes Juifs sont réunis. Cette situation m’étonne tout de même. Même encerclés de villages arabes et à la frontière de la Cisjordanie, nous sommes quand même en plein centre du kibboutz, clôturé et gardé jour et nuit. Pourtant, ce type est là, arme à l’épaule, fallafel au poulet dans la main, discutant foot avec ses amis. Il ne montera pourtant pas regarder le match mais restera à l’extérieur.
Détendu et cordial, il lance à l’espagnol qu’il connaît déjà un « Hola Gustavo ». On s’approche. Il annonce alors : « The barbecue is free for you guys, take what you want ». Vraiment sympa.
Je me présente alors. “Where are you from?” me lance-t-il, “Sarfat (France)” dis-je. “Ah Sarfat ! You have the same problem than us, too much Arabs”. Sa bienveillance et sa sympathie équilibrent je ne sais comment son discours et le jugement que je lui porte.

Caméra de surveillance à l'une des entrées de Lahav

A ce moment précis, je repense à la semaine et au shabbat que je viens de passer.

J’ai commencé à travailler à l’extérieur. A partir de 11h seulement, car avant j’ai obligation de bosser avec Dorit dans la supérette du kibboutz. Au final, je ne fais pas beaucoup de jardinage car on déjeune à midi (environ 1h de pause) et on finit généralement vers 14h si ce n’est plus tôt.
Le travail n’est pas passionnant, mais avec des gants, ma casquette vissée sur le crâne et une pelle à la main, je ressens plus le côté ouvrier agricole pour lequel je me suis initialement engagé.
Je bosse pas mal avec « Yohanan », un employé bédouin Arabe du kibboutz. Il parle hébreu avec Ronnie et arabe au téléphone. Il ne parle pratiquement pas anglais. Ses t-shirt portent des inscriptions en hébreu.
Encore une fois, je tente de saisir la complexité de la coexistence entre Juifs et Arabes. Yohanan est sympa. Il doit avoir une trentaine d’années. Il nous fait comprendre les ordres avec des gestes et des mots simples. Quand on travaille seul avec lui, il reste assis dans le tracteur et nous regarde ramasser les feuilles mortes, parle au téléphone et met en haut-parleur des chansons en arabe.
La première fois que j’ai travaillé avec lui, il était 6h du matin. J’étais réveillé depuis 10 minutes. Je monte en baillant dans sa voiture. Pas un mot, pas vraiment de « bonjour ». Il m’emmène avec un autre volontaire à l’auditorium du kibboutz, pièce polyvalente pour les concerts et les spectacles, afin qu’on installe une scène. En entrant dans la grande salle, il tripote les instruments. Guitare, basse et piano. Il ne sait en jouer aucun. On a commencé à déplacer les lourds morceaux de la scène sous l’air cacophonique qu’il « jouait » au piano, composé de notes assemblées au hasard du gré de son imagination artistique. « Weird, crazy kibbutz » me dit l’autre volontaire. Effectivement. Et dur réveil.
Plus tard, il m’emprunte mon Iphone, le touche maladroitement et me demande en désignant l’écran : « Internet, sex ? ». Bizarre. On me dira plus tard qu’il a l’habitude le matin de trainer devant l’ordinateur des volontaires et demander à qu’on lui inscrive sur google : « Sex ».
Il n’en reste néanmoins pas désagréable. On rigole parfois, il me tend sa main pour qu’on se « check » quand on est d’accord. Ce qui est chiant c’est de bosser seul pendant qu’il est au téléphone ou de devoir l’attendre pour déplacer quelque chose parce qu’il est encore avec quelqu’un à l’autre bout du fil.
Il a l’air de bien s’entendre avec les habitants. Ici, tout le monde le connaît, certains kibboutzniks lui lancent quelques mots d’arabes pour engager la discussion, montrant l’intérêt qu’ils lui portent et l’effort fait pour communiquer. Au déjeuner, il mange avec les autres employés arabes, tandis que Ronnie, son chef et notre chef, peut être à une autre table. Je n’ai pas le souvenir de les avoir vus manger ensemble, et pourtant ils travaillent ensemble, discutent ensemble.

Vendredi dernier. Ronnie me laisse partir à 10h30. Je prends le bus, effectue un changement à Tel-Aviv pour retrouver ma famille à Herzliya, ville agréable au Nord de Tel-Aviv, sur la côte. Ma famille israélienne est composée de deux cousines de mon père, juives chiliennes, parties en Israël il y a plus de 30 ans sous les auspices du mouvement de la jeunesse juive et sioniste, Hachomer Hatzaïr (le même organisme par lequel je suis passé en France). Je les considère donc comme mes tantes « éloignées ».
Dans un parc, je retrouve Karen, la plus jeune de mes deux tantes. Son mari vient me chercher avec un mini-van prêté par leur kibboutz. Une accolade chaleureuse plus tard, je retrouve mes cousins, les enfants de Karen et de son époux.
Je ne les ai pas vus depuis un an et demi, mais en me voyant, les deux garçons de 10 et 12 ans courent vers moi et me sautent dessus, comme si on s’était quitté depuis trop longtemps. Je leur ai manqué, et c’est réciproque. La petite dernière, Adva, 4 ans, est timide. Elle ne s’approche pas encore de moi. Le plus grand, Gaal, prépare sa Bar-Mitzva avec les autres jeunes du kibboutz. Pour se faire, ils se déplacent chaque semaine avec des parents différents pour visiter les grands-parents des uns et des autres, qui leur racontent l’histoire de leur famille, l’histoire du peuple juif.


Nous rentrons rapidement au kibboutz Gan-Shmuel, leur lieu et idéologie de vie. 900 personnes vivent ici. Doté d’une usine de jus de fruits, Gan-Shmuel est l’un des dix kibboutz les plus riches du pays. C’est aussi un groupe industriel : « Gan Shmuel group ». Il exporte ses produits dans le monde entier, France comprise. La communauté possède un grand centre commercial à l’entrée du kibboutz, qui comptabilise énormément de clients.

David ou « Doudou », le mari de Karen, y travaille. David est un homme extrêmement accueillant. C’est la deuxième fois que je le vois (première fois en 2009) et il me considère vraiment comme un membre de sa famille. De loin, David ressemble à un grand benêt, à quelqu’un d’un peu simplet. De près, il parle couramment trois langues, suit actuellement des études d’électronique et désire enchainer sur un diplôme d’ingénieur. Il a plus de 40 ans, trois enfants à charge, et est vendeur dans le centre commercial du kibboutz.
Le vendredi soir, après avoir diné avec mon cousin de 25 ans, Oran, fils de mon autre tante Katty, et parlé d’un tas de choses en rapport avec Israël, la politique et la vie en kibboutz, David vient me chercher avec une autre voiture prêtée par le kibboutz. « Do you want to see israeli girls tonight ? » me dit-il, sentant une deuxième jeunesse vibrer dans ses veines. Je réponds « Of course » en souriant et en montant à ses côtés. Finalement, un vendredi soir, il n’y a pas grand monde dans les rues. On se retrouve dans un bar restaurant de Caesarea, en terrasse sur un antique port romain. C’est raté pour les filles.

David me parle de la vie en kibboutz. Pour lui, c’est le paradis. Il regrette pourtant de ne pas avoir fait d’études étant jeune, et d’en entamer que maintenant. En attendant, il aura travaillé pour la communauté à des postes non qualifiés. Pour lui, il n’y a rien de plus important que les études et me conseille de les finir au plus vite, de me fixer ceci en objectif principal. Je l’écoute attentivement quand il me demande conseil : Qu’est-ce que je pense qui serait mieux pour lui ? Continuer ses études, même s’il est en retard sur le rendu du projet, pour tenter de finir son premier diplôme en électronique afin continuer en ingénieur ? Je suis pris de court. Un adulte de vingt ans mon ainé me demande un conseil sur comment mener sa vie. Il me prend d’égal à égal, tel l’adulte que je suis à ses yeux. Je lui réponds que vu qu’il me parle tellement des études, de l’importance de l’enseignement, qu’il devrait trouver le temps pour continuer et changer de poste, car son boulot actuel est ennuyeux. Il me dira plus tard : « You helped me to take my decison ».

Le lendemain, Samedi, on va à Alona Park, non loin de là, avec les enfants et une glacière, visiter d’anciennes citernes et aqueducs romains souterrains, qui acheminaient l’eau jusqu’à Caesarea, grand port antique où de magnifiques ruines témoignent de temps anciens. Un guide nous emmène dans l’aqueduc sous terre pendant une vingtaine de minutes, je suis seul avec les enfants et un groupe, nous sommes munis de lampes torches. L’eau trouble nous arrive parfois au-dessus des genoux. L’expérience est historique et ludique, quoiqu’enfantine.
Enfin, on va à la plage. La première fois que je me baigne depuis mon arrivée ce mois-ci. Tandis qu’il neige à Paris, je regarde ce ciel bleu azur, ce ciel d’Israël. L’eau est complètement transparente. C’est la fin de la journée, le ciel descend lentement à l’horizon.

Karen et David me promettent de parler avec les gens qui s’occupaient autrefois des volontaires à Gan-Shmuel. Peut-être pourrais-je venir ici, bosser un peu. Ils vont demander en tout cas. Peut-être dans un autre kibboutz. On verra
David m’invite à revenir shabbat prochain. Je les embrasse.

Vieux bus abandonné dans Lahav

Me voici déjà dans mon bus de retour bondé vers Tel Aviv, puis le kibboutz Lahav. Il fait nuit. La semaine reprend.
On s’habitue vite finalement. Le boulot, le dodo, sans métro pourtant. Bouffe et logement gratuits. On trouve des trucs à faire, la salle de gym est à notre disposition, on peut aller trainer dans le mall de BeerSheva.
Je ne sais pas à quoi je me suis habitué, mais je m’y suis habitué. Peut-être de ce rythme monotone, coupé d’anecdotes plus ou moins intéressantes.

C’est la vie de l’Israël profond ici. On donne 8h par jour en travail au kibboutz, ce dernier s’occupe de tout le reste.

mardi 23 novembre 2010

Laver la vaisselle représente-t-il l'esprit pionnier d'Israël?

Le kibboutz Lahav et le désert autour  
Dorit est française. Dorit est la manager de la supérette du kibboutz dans laquelle je travaille tous les jours de 7h à 11h. Dorit et moi, on parle logiquement français. Dorit est arrivée en Israël il y a 40 ans mais elle ne m’a pas dit pourquoi. Dorit est petite, assez large, a des problèmes de genoux, a des cheveux noirs et a une vague coiffure à la Mireille Mathieu. Dorit me répète tous les jours que même dans une si petite supérette, on arrive toujours à trouver de la place pour installer les produits dans les rayons et ranger la livraison dans l’arrière boutique.
Dorit est gentille. Elle me donne les beignets à la fraise non vendus de la veille pour mon petit déjeuner. Ils sont un peu durs, mais « quelques secondes au micro-ondes et ils retrouvent leur moelleux ».

Moi, je m’occupe tout d’abord des fruits et légumes. Trier ceux qui sont à la vente, en mettre des nouveaux. Je range aussi les livraisons. Il faut trouver de la place dans la chambre froide, toujours. Les concombres, il faut bien les disposer, en trois rangées alignées. C’est plus beau comme ça.
Ensuite, je remplis les rayons boissons. Gazeuses, jus de fruit. Il faut que l’étagère soit toujours remplie.
Après je check les œufs, la farine, le sucre et le sel, de sorte à ce qu’il y en ait toujours à disposition des clients.
Quand j’ai fini tout ça, on me donne des tâches supplémentaires, ponctuelles et variantes. Etiquetage, rangement, etc.

A 11h ou un peu avant, Dorit me laisse aller à mon deuxième boulot : la vaisselle de la cantine.
Depuis quelques jours, je prends la peine de repasser 15 minutes dans ma chambre pour me reposer un peu. J’arrive « en retard » mais personne ne remarque rien. Aujourd’hui je me suis même endormi de 11h à 12h et on ne m’a rien dit.

La cantine ou « dining room », c’est le bâtiment central du kibboutz. On y mange tous les midis, et le mardi et vendredi soir. Evidemment, pas la moitié des membres du kibboutz viennent s’y restaurer. On y voit donc toujours les mêmes têtes. Beaucoup de vieux qui arrivent avec leur petit véhicule électrique à trois roues, entre la moto et la « golfette ».
Ici, c’est un self service. Quand on a fini de manger, on passe dans une pièce où on jette ce qu’il nous reste dans l’assiette et on place ses couverts et son assiette sur des palettes tractées par une sorte de tapis roulant. Le tout passe dans un énorme conduit qui lave le tout et c’est après que j’entre en scène. Quand la vaisselle sort de l’autre côté du conduit, je dois la ranger. Tout simplement. Les palettes maintenant vides continuent d’avancer pour repasser devant les prochains kibboutzniks qui viennent y déposer leurs assiettes sales. Et encore un tour.
L’autre truc, c’est qu’on doit aussi gratter tous les plats, les marmites et les outils qui ont servis à faire la cuisine et les passer dans la machine.
C’est mon activité de 11h à 15h. C’est terriblement chiant, mais après l’avoir fait tout seul les premiers jours, je suis épaulé par deux autres volontaires (temporairement peut-être). On peut donc discuter et parfois rigoler.

Mon outil de travail principal
 
Ce qui caractérise le plus ce kibboutz pour le moment, c’est l’ennui. Après le boulot, on ne fait plus rien. En même temps il n’y a rien à faire. Il fait nuit à 17h. On peut aller à Beer-Sheva avec une navette gratuite qui nous ramène ensuite. Mais là-bas, on se contente de trainer dans le centre commercial. Les autres volontaires ne font rien. Ils en sont conscients, mais continuent dans la passivité. Plus le temps passe, plus je les comprends.
Quelques volontaires sont vraiment sympa, on passe un peu de temps ensemble et on rigole bine. Les autres font partie du décor. Ils sont ici comme ils pourraient être en Ouganda. Israël ne leur inspire rien de particulier. A part peut-être la bouffe et un logement gratuits.
On n’organise aucune activité. Chacun part faire ses voyages de son côté, enfin je crois.

La dernière fois, j’ai fait un foot avec des volontaires et des jeunes kibboutzniks. Ça m’a fait vraiment du bien de faire du foot. Il y a ici des équipements sportifs modernes et c’est très appréciable.
La vie dans le kibboutz ressemble étrangement à la vie dans une maison de retraite, sauf que des enfants y vivent. C’est calme. Très calme. Chaque jour ressemble au précédent. On effectue les mêmes gestes, tranquillement, pour permettre au quotidien de prendre la place qui lui revient de droit. On vit une vie normale, on vit la vraie vie.
Pendant les pauses, on discute de conneries en anglais, ou on se tait. Voilà.

J’ai failli m’échapper pendant les premiers jours. M’échapper… Comme si j’étais en prison. J’ai préféré demander à changer de kibboutz. Je veux travailler à l’extérieur, je veux bosser dans les champs. Tout ce que je fais ici, je l’ai fait à Paris, chez Quick ou chez ED (maintenant DIA). Je ne suis pas en Israël seulement trois mois pour ça. Me lever à 6h, ce n’est pas un problème. Vivre dans un taudis non plus. Je voulais une activité enrichissante, au soleil, dans l’esprit des pionniers d’Israël. La culture de la terre, rendre le désert fertile, c’est l’idée. Qu’il y ait plus de volontaires serait un plus, car y a des kibboutz où ils peuvent atteindre la trentaine pendant l’hiver.
Je suis conscient qu’aujourd’hui, c’est plus comme avant. Tout est déjà bâti. Peut-être me suis-je trompé sur le concept « kibboutz », mais j’en attends un minimum plus que ce que je vois actuellement. Il y a encore des champs, des gens qui cueillent des oranges.
Gentiment, j’ai donc parlé avec mon volunteer leader. Il m’a compris. Je lui ai dit que je voulais bosser en extérieur, que je n’accrochais pas avec les autres bénévoles. Il a négocié, m’a proposé d’alterner le jardinage et le supermarché/vaisselle. J’ai dit non.  J’ai eu le KPC au téléphone aujourd’hui. Ils ont un autre kibboutz pour moi : A la frontière avec la Bande de Gaza et un boulot en cuisine. Ils sont drôles au KPC.
En attendant ma réponse négative, mon volunteer leader va me faire bosser à partir de demain en extérieur à la place de la vaisselle. Je dois continuer le supermarché parce qu’apparemment ils sont satisfaits de mon boulot.

J’ai entendu parler d’un kibboutz, dans le nord, à la frontière avec le Liban. Le kibboutz Baram. J’en ai entendu parler comme du Paradis des kibboutz : Verdoyant, beaucoup de volontaires, boulots de merde mais avec évolution. Là-bas, y a un musée et les ruines d’une synagogue très ancienne. Ça a l’air bien. On peut les joindre directement et ils sont affiliés au KPC. Je vais sûrement les appeler. J’attends la fin de la semaine. Car shabbat prochain je vais voir mes tantes qui vivent dans leur kibboutz, Gan Shmuel, et on va se renseigner pour savoir si éventuellement je pourrais bosser là-bas. Y a peu de chances que ça aboutisse mais sait-on jamais…

mardi 16 novembre 2010

Fantasmes et réalités

                                                                  L'entrée de ma chambre


« Si c’est possible, ne me mettez pas dans un kibboutz à la frontière avec la bande de Gaza ». Voici la seule préférence que j’ai exposée au KPC (Kibbutz Program Center) de Tel Aviv, l’organisme qui met en relation les volontaires étrangers et les kibboutzim accueillants.

A posteriori, j’aurais peut-être dû en soumettre plusieurs…

Après une journée à Tel-Aviv, une soirée passée avec une copine française que je n’avais pas vue depuis des années, et une nuit dans le dortoir d’une auberge de jeunesse, on m’attribue enfin un kibboutz. Je paie les 850 shekels (170 euros) correspondant au visa, aux frais d’inscription et à l’assurance maladie, et me voici dans un bus direction le kibboutz Lahav, à 20 km au nord de Beer-Sheva, dans le Sud d’Israël aux portes du désert du Neguev.
Le chauffeur, un Falasha d’Ethiopie*, ne comprend pas l’anglais. « Lahav, ok » me dit-il en me montrant le prix du trajet sur sa caisse.

Le kibboutz est à deux heures de Tel-Aviv. Je quitte la ville européenne que je connais, les boutiques à la mode et les bars à Yoghurt bobos pour une route sèche, aride.
Le car se remplit pendant les premiers arrêts. Beaucoup de jeunes soldats, conscrits, armés ou non. Nous descendons vers le Sud, des Arabes commencent à monter. Jeunes et moins jeunes. Là on parle hébreu et le siège juste derrière, arabe. Je saisis alors la complexité de ce multiculturalisme. On se tolère, mais on se méfie.
Les jeunes citoyens arabes sont exemptés du service militaire, cap pourtant fondamental pour l’intégration effective des jeunes à la citoyenneté, et dans la Société. Même si Juifs et Arabes ont les mêmes droits, l’expérience de vie est différente. Chacun parle sa langue.
A ma droite, une soldate essayant de dormir est dérangée par la musique que mettent à fond sur leurs portables les jeunes Arabes du bus. Elle les interpelle en hébreu, énervée. Les Arabes se regardent entre eux, rigolent fortement, ne répondent pas et diminuent à peine le volume. Elle n’insiste pas. Pour ma part, j’ai trouvé leurs chants traditionnels plutôt folkloriques.

Le leader des volontaires de Lahav, Ronnie, un kibboutznik dont une partie de son travail est de s’occuper des volontaires, vient me chercher à la station de bus où je viens de descendre. En voiture, nous discutons en anglais, il m’explique rapidement le fonctionnement du volontariat et du kibboutz. On passe chercher Gustavo, un volontaire espagnol, qui travaille parfois l’après-midi dans les jardins du kibboutz d’à côté.

Nous rentrons dans le kibboutz Lahav. L’entrée se fait par un grand portail jaune qui ne s’ouvre de façon latérale qu’aux personnes autorisées. Le kibboutz est ceinturé entièrement par deux niveaux de clôtures, hautes de deux mètres environ. Autour de nous, le désert qui commence et une forêt artificielle, constituée d’arbres plantés par l’Homme il y a 50 ans. Nous sommes également encerclés par des villages arabes bédouins, « friendly », m’annonce Ronnie.

Environ 350 personnes vivent ici. Ca ne paie pas de mine. De la terre, quelques coins de verdures. Plein de petites routes, petits chemins, accessibles en voiture ou seulement en vélo, mènent aux différentes maisons. Nous sommes accueillis par une énorme menorah* rouillée.
Des drapeaux israéliens trônent ici et là au dessus des portes.

On me montre le quartier des volontaires. Deux maisonnettes à 20 mètres de distance. Je suis dans la deuxième, qui est composée de 4 chambres, dont deux sont condamnées. Les chambres donnent à l’extérieur, sur une terrasse de fortune composée d’une table basse et de quelques chaises et fauteuils de récup’. La salle de bain est sale, mais à peu près tout est sale ici. Dans l’autre maisonnette, il y a une pièce télé avec un ordi, deux vieux canapés. Les murs sont taggués. On y voit de larges étoiles de David, ainsi qu’une menorah et le mot « Israël » écrit au-dessus, dont le « a » est remplacé par une étoile de David. Le frigo est dehors. La petite cuisine qui nous est destinée, c’est deux plaques dégueulasses et un four. Pour chercher des couverts, faut fouiller partout, et espérer qu’ils ne soient pas rouillés.

Je suis le seul à avoir un drapeau israélien à ma porte. Je suis aussi pour le moment seul dans ma chambre, même si elle contient deux lits. En mousse, les matelas. L’arrangement est spartiate. Du carrelage au sol. Une vieille armoire, une chaise cassée, un meuble de rangement dont les tiroirs ne ferment pas complètement, et un reste de bureau. Deux livres en anglais et allemand se battent en duel sur un meuble, des feutres trainent sur les lits. Les murs sont jaunes et évidemment taggués par les anciens volontaires laissant des mots de sympathie (ou pas) et des phrases philosophiques.
Une ampoule blanche à basse consommation pend du plafond et éclaire la pièce d’une façon particulièrement blafarde. J’oublie les trois tableaux kitchissimes et/ou moches : Une nature morte dessinée par un enfant ? De l’autre côté, un bateau à voile sur un fond rouge avec un cratère de volcan (en relief) à sa droite ? Un paysage au dessus de mon lit ? Dans la chambre voisine, on peut lire ces phrases nous disant en gros « This kibbutz is shit » ou « Volunteers are really really cheap cheap cheap workers for the kibbutz. We’re fucked ».

Jusque là, c’est glauque. La tombée de la nuit n’arrange rien à l’ambiance.

Je commence à parler avec les volontaires. Gustavo est dans la chambre à côté. Il est cool et on discute pas mal, en anglais et en espagnol. Son collègue qui partage sa chambre est en vacances pour la semaine. Les autres volontaires sont sympas. Une Anglaise, un Australien, deux Sud-africains (mais je ne suis pas réellement sûr), un noir et un blanc, deux Allemandes, un Espagnol et la nationalité du dernier m’échappe. En tout on est neuf. Ils sont presque tous anglophones.


Je suis affecté d’office, sans avoir mot à dire, à la cuisine le matin et au supermarché l’après-midi. Je remplace un des Sud-Africains qui part bientôt. Je commence le boulot le lendemain, mais exceptionnellement, je vais aider dans les jardins. Levé à 5 :30, début du travail à 6h.
Ronnie vient nous chercher en tracteur. On s’assoit dans la benne. Un chien nous suit, des chats errants nous regardent passer. On part ramasser des pierres pour les disposer en forme  de petits enclos d’aménagement devant certaines maisons. On ramasse des ordures. On soulève des trucs, on coupe des mauvaises herbes. C’est assez physique, un peu ennuyeux mais au moins on se dépense. On a des pauses de 20 minutes toutes les deux heures. C’est sympa. On mange à la cantine, avec notre forfait repas. Le soir, on se fait nous même à manger, sauf le mardi et le vendredi, où on va à la cantine. Le petit supermarché du kibboutz où on achète la bouffe, pratique des prix plus élevés pour les volontaires (entre 3 et 5 shekels par produit, de quoi se décourager d’acheter un paquet de chips à 6 shekels qui en coûte finalement 11). Allez savoir pourquoi…

Le soleil tape fort. Fin de la journée à 13 :30.

Ma première impression est mitigée. Il y a un réel décalage entre l’idée qu’on se fait du kibboutz de la réalité. Evidemment, je ne m’attendais pas à être accueilli comme un Roi, mais les kibboutznikim ne nous parlent pas. On vit dans un coin du kibboutz, ils nous répondent à peine quand on leur dit « Shalom » en les croisant. Je m’y attendais un peu, mais ça fait quand même bizarre. On a ici la légère impression d’être de la main-d’œuvre gratuite dont on s’occupe à peine, bonne à faire le sale boulot dont les kibboutznikim ne veulent pas se soucier.

Heureusement que les volontaires sont sympa, ça équilibre la balance.

D’autant plus que le kibbutz Lahav possède industrie très particulière en Israël…


Bientôt la suite.



Falashas d’Ethiopie : Les Falashas sont les membres d’une tribu juive perdue en Afrique, considérés comme les descendants de la reine de Saba. Retrouvés par des chercheurs il y a une quarantaine d’années, ils pratiquaient toujours le judaïsme, mais avait été coupé des autres Juifs depuis plus de mille ans. Ainsi, ils avaient adoptés d’autres pratiques et ignoraient des pans fondamentaux de la religion, apparus après leur isolement. Persécutés et parfois convertis de force en Ethiopie, Israël s’est donné comme devoir de les faire immigrer (clandestinement ou non) en Terre Sainte. Ils représentent environ 120 000 personnes en Israël. Ils ont été officiellement reconnus comme Juifs par l’Etat mais pas par une partie de l’orthodoxie. Certains se sont convertis officiellement pour ne plus laisser subsister de doute sur leur judéité. Les Falashas ont de grandes difficultés d’intégration et une large partie d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Menorah : C’est le chandelier (ou candélabre, autre acception conventionnelle) à sept branches des Hébreux, dont la construction fut prescrite en Exode 31 à 40 pour devenir un des outils du Tabernacle et plus tard du Temple de Jérusalem. C’est un symbole fondamental des Juifs et du Judaïsme, ainsi que de l’Etat d’Israël qui l’utilise notamment comme logo dans l’Administration.