Je quitte enfin Lahav, son industrie porcine (unique en Israël), son supermarché avec Dorit, et les gamines de 16 ans du kibboutz qui souvent nous visitaient Gustavo et moi afin d’affiner leur talents de séduction fraichement révélés. Je quitte aussi les autres volontaires, que je n’ai finalement pas vraiment connus, et que je n’ai pas eu envie de connaître.
Deux jours avant mon départ, deux nouveaux bénévoles sont arrivés. Même réaction que Gustavo, même réaction que moi. « Wait a week », c’est ce que tout le monde leur dit.
Moi, j’aurais finalement attendu quasiment un mois avant de partir. C’est qu’au final, on s’y habitue au kibboutz. On commence à connaître le lieu, son boulot, le rythme et les habitants.
Après plusieurs appels au KPC, j’ai enfin obtenu un « choix » : on me propose deux kibboutz.
Le premier, Yotvata, est situé tout au Sud du pays à la frontière de la Jordanie, à 30 km d’Eilat. Le kibboutz possède une très grande industrie laitière et cultive de nombreux fruits et légumes. La population y est pourtant plus faible qu’à Lahav. Et c’est le désert, encore plus au milieu de nulle part d’où je suis actuellement. Le boulot est dans les champs.
Le second, Ein Hashofet, est situé dans le Nord du pays, entre Haïfa et Nazareth. C’est un kibboutz réputé pour son environnement vert et très agréable. Il possède un oulpan destiné principalement aux nouveaux immigrants, étudiants pour la plupart désirant continuer leurs études supérieures en Israël. Son industrie principale est une usine de plastique et d’électronique. Le boulot ici, c’est ouvrier à l’usine.
Après avoir longtemps réfléchi, discuté avec des proches et la famille lors de Hannoucah, j’ai choisi Ein Hashofet. C’est sûr que le boulot proposé n’est pas très motivant, mais d’autres facteurs entrent en jeu. Une ambiance étudiante, plus de volontaires, un kibboutz près de ma famille et un environnement verdoyant.
On est vendredi matin, je quitte Lahav. Je pose les clés de ma chambre sur la table de nuit, mais je garde le porte-clés Heineken « ouvre bouteille de bière » qui y était accroché. Simplement magique, ce porte-clés.
Les autres volontaires travaillent, sauf Gustavo qui a pris son Vendredi pour jouer un match de foot à Tel-Aviv avec les kibboutzniks. Je lui dis au revoir et on se donne rendez-vous en Europe. Ronnie, le leader, ne peut m’accompagner à l’arrêt de bus car il est en « meeting », je fais donc du stop. L’homme qui s’arrête avec sa Subaru flambant neuve me fait la discussion. Il s’occupe de la gestion financière de Lahav, mais habite dans un autre kibboutz. Son père a été ministre d’Israël et connaissait Jean-Paul Sartre. Intéressant.
Je n’ai dit au revoir à personne en partant.
Dans le bus, je suis léger. Etrange mois que je viens de passer.
Tel-Aviv. Le temps est pourri. Je retrouve une amie qui m’héberge gentiment pour le week-end. On passe un shabbat reposant, cassant le rythme de travail que j’ai habituellement.
On arrive vite au dimanche matin. J’ai rendez-vous en début d’après-midi à Ein Hashofet. Je prends deux bus. Le premier jusqu’à Yoqnéam, petite ville du Nord, tandis que le second m’emmène sous la tempête jusqu’à mon nouveau kibboutz. J’appelle pendant le trajet la coordinatrice des volontaires, ma nouvelle leader, Cathy. Elle ne répond pas. Après 4 appels infructueux, j’arrive dans le kibboutz, seul. Il pleut des trombes, je suis trempé. Je rentre dans le premier bâtiment que je vois : l’infirmerie. « I’m looking for Cathy ». On l’appelle. Un volontaire vient me chercher en parka jaune de pêcheur, à bord d’une voiturette électrique. Il m’emmène au bureau de Cathy.
Elle se présente, on se serre la main. Elle m’explique longuement le fonctionnement du kibboutz. Elle me donne en plus un fascicule qui résume ses explications. Elle me donne des draps, et des vêtements de travail : un gros pull, deux pantalons, trois t-shirts, des nouvelles chaussures avec protection, ainsi qu’une grosse veste kaki militaire. Il pleut toujours, et l’orage commence à gronder.
A Lahav, on ne m’avait rien donné pour travailler, ni même des chaussures pour le jardin. Autant dire qu’ici ça change.
Cathy m’accompagne à ma chambre que je vais partager avec un hollandais qui est parti cette semaine à Jérusalem. Je ne le rencontre donc pas.
Je tourne la clé dans la serrure et j’ouvre. Des murs blancs. Propres. Pas de tag. Un vrai lit, avec une vraie couette, un oreiller propre. Une armoire en bon état, un vrai bureau entre les deux couches. Le bâtiment a été refait il y a 1 an. Ça fait du bien.
La salle de bains, une vraie salle de bains. Le carrelage est blanc. C’est propre, tout simplement.
Ma nouvelle leader me laisse, me caresse maternellement l’épaule pour me dire au revoir et ajoute que le kibboutz est très heureux de m’avoir. Je souris.
Assis sur mon lit, j’observe. Je respire. Ça commence plutôt bien. Les locaux sont vraiment agréables.
Déjà, j’entends les premiers volontaires arriver du travail. Il est 16h. Un équatorien s’approche. Je travaille dès demain à l’usine avec lui et deux autres volontaires. Il m’explique que le travail consiste en empaqueter des tournevis dans leurs boites, avant qu’ils soient expédiés vers les revendeurs. C’est sympa, parce qu’on a le vendredi et le samedi de congé, contrairement à tous les autres qui n’ont que le samedi. Bonne nouvelle.
Un mexicain se joint à nous. Puis un Sud-Africain vient frapper à ma porte. Pour l’instant ils sont vraiment sympathiques. Tous les gens que je rencontre prennent le temps de se présenter.
Nous vivons côte à côte avec les oulpanistes, de jeunes immigrés pour la plupart, ici pour apprendre l’hébreu et continuer leurs études en Israël.
A l’heure du diner, l’équatorien vient me chercher dans ma chambre. On part pour le dining room. On est rejoints par le mexicain, une américaine, un américain oulpaniste et d’autres sud-américains. Oulpanistes et volontaires sont mélangés.
Une anglaise s’assoie à notre table. Elle vit depuis ses 13 ans en France. Elle porte une large étoile de David en collier. « You’re Jew ? » me demande-t-elle, comme l’ont fait trois personnes auparavant. « Seulement par mon père ». Elle aussi, tiens donc. On finit le diner tous les deux à discuter du Judaïsme.
Elle me fait ensuite visiter la salle des ordinateurs, organisée comme une salle de classe, avec beaucoup de tables sur lesquelles les étudiants en hébreu font leurs devoirs. Je rencontre là un jeune roumain, qui vient de faire son alyah, et qui a très envie de visiter la France. Il se pose à une table avec ses cours et son ordinateur. Un oulpaniste hongrois, à l’allure de bucheron, vient me saluer et consulte ses mails.
Je retrouve là l’oulpaniste américain, Josh. Ca fait deux ans qu’il vit en Israël, mais a fait son alyah il y a quelques mois seulement. Il parle hébreu. L’armée, c’est en août prochain pour lui. Il n’a pas de famille dans le pays, il est seul. C’est plutôt courageux à vingt ans. Je me demande alors : Qu’est-ce qui peut pousser un jeune Américain, bien installé dans la première puissance économique mondiale, à partir seul dans un pays lointain à 20 ans, commencer une nouvelle vie, difficile, sans argent, sans repères ?
La réponse est idéologique. Contrairement peut-être aux Russes et aux Éthiopiens, qui ont aussi fui une certaine misère économique, cette immigration doctrinale, en provenance des pays riches (qui est d’ailleurs de plus en plus faible), incarne l’esprit même du sionisme : vivre en tant que Juif (non pratiquant bien souvent) dans l’Etat-Nation du peuple juif. La simple idée du peuple vivant sur sa Terre, et non plus en diaspora.
Sur ces questionnements, je retourne dans ma chambre. L’orage fait trembler les murs. J’attends maintenant mon premier jour de travail.
Bonne chance!
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