« Si c’est possible, ne me mettez pas dans un kibboutz à la frontière avec la bande de Gaza ». Voici la seule préférence que j’ai exposée au KPC (Kibbutz Program Center) de Tel Aviv, l’organisme qui met en relation les volontaires étrangers et les kibboutzim accueillants.
A posteriori, j’aurais peut-être dû en soumettre plusieurs…
Après une journée à Tel-Aviv, une soirée passée avec une copine française que je n’avais pas vue depuis des années, et une nuit dans le dortoir d’une auberge de jeunesse, on m’attribue enfin un kibboutz. Je paie les 850 shekels (170 euros) correspondant au visa, aux frais d’inscription et à l’assurance maladie, et me voici dans un bus direction le kibboutz Lahav, à 20 km au nord de Beer-Sheva, dans le Sud d’Israël aux portes du désert du Neguev.
Le chauffeur, un Falasha d’Ethiopie*, ne comprend pas l’anglais. « Lahav, ok » me dit-il en me montrant le prix du trajet sur sa caisse.
Le kibboutz est à deux heures de Tel-Aviv. Je quitte la ville européenne que je connais, les boutiques à la mode et les bars à Yoghurt bobos pour une route sèche, aride.
Le car se remplit pendant les premiers arrêts. Beaucoup de jeunes soldats, conscrits, armés ou non. Nous descendons vers le Sud, des Arabes commencent à monter. Jeunes et moins jeunes. Là on parle hébreu et le siège juste derrière, arabe. Je saisis alors la complexité de ce multiculturalisme. On se tolère, mais on se méfie.
Les jeunes citoyens arabes sont exemptés du service militaire, cap pourtant fondamental pour l’intégration effective des jeunes à la citoyenneté, et dans la Société. Même si Juifs et Arabes ont les mêmes droits, l’expérience de vie est différente. Chacun parle sa langue.
A ma droite, une soldate essayant de dormir est dérangée par la musique que mettent à fond sur leurs portables les jeunes Arabes du bus. Elle les interpelle en hébreu, énervée. Les Arabes se regardent entre eux, rigolent fortement, ne répondent pas et diminuent à peine le volume. Elle n’insiste pas. Pour ma part, j’ai trouvé leurs chants traditionnels plutôt folkloriques.
Le leader des volontaires de Lahav, Ronnie, un kibboutznik dont une partie de son travail est de s’occuper des volontaires, vient me chercher à la station de bus où je viens de descendre. En voiture, nous discutons en anglais, il m’explique rapidement le fonctionnement du volontariat et du kibboutz. On passe chercher Gustavo, un volontaire espagnol, qui travaille parfois l’après-midi dans les jardins du kibboutz d’à côté.
Nous rentrons dans le kibboutz Lahav. L’entrée se fait par un grand portail jaune qui ne s’ouvre de façon latérale qu’aux personnes autorisées. Le kibboutz est ceinturé entièrement par deux niveaux de clôtures, hautes de deux mètres environ. Autour de nous, le désert qui commence et une forêt artificielle, constituée d’arbres plantés par l’Homme il y a 50 ans. Nous sommes également encerclés par des villages arabes bédouins, « friendly », m’annonce Ronnie.
Environ 350 personnes vivent ici. Ca ne paie pas de mine. De la terre, quelques coins de verdures. Plein de petites routes, petits chemins, accessibles en voiture ou seulement en vélo, mènent aux différentes maisons. Nous sommes accueillis par une énorme menorah* rouillée.
Des drapeaux israéliens trônent ici et là au dessus des portes.
On me montre le quartier des volontaires. Deux maisonnettes à 20 mètres de distance. Je suis dans la deuxième, qui est composée de 4 chambres, dont deux sont condamnées. Les chambres donnent à l’extérieur, sur une terrasse de fortune composée d’une table basse et de quelques chaises et fauteuils de récup’. La salle de bain est sale, mais à peu près tout est sale ici. Dans l’autre maisonnette, il y a une pièce télé avec un ordi, deux vieux canapés. Les murs sont taggués. On y voit de larges étoiles de David, ainsi qu’une menorah et le mot « Israël » écrit au-dessus, dont le « a » est remplacé par une étoile de David. Le frigo est dehors. La petite cuisine qui nous est destinée, c’est deux plaques dégueulasses et un four. Pour chercher des couverts, faut fouiller partout, et espérer qu’ils ne soient pas rouillés.
Je suis le seul à avoir un drapeau israélien à ma porte. Je suis aussi pour le moment seul dans ma chambre, même si elle contient deux lits. En mousse, les matelas. L’arrangement est spartiate. Du carrelage au sol. Une vieille armoire, une chaise cassée, un meuble de rangement dont les tiroirs ne ferment pas complètement, et un reste de bureau. Deux livres en anglais et allemand se battent en duel sur un meuble, des feutres trainent sur les lits. Les murs sont jaunes et évidemment taggués par les anciens volontaires laissant des mots de sympathie (ou pas) et des phrases philosophiques.
Une ampoule blanche à basse consommation pend du plafond et éclaire la pièce d’une façon particulièrement blafarde. J’oublie les trois tableaux kitchissimes et/ou moches : Une nature morte dessinée par un enfant ? De l’autre côté, un bateau à voile sur un fond rouge avec un cratère de volcan (en relief) à sa droite ? Un paysage au dessus de mon lit ? Dans la chambre voisine, on peut lire ces phrases nous disant en gros « This kibbutz is shit » ou « Volunteers are really really cheap cheap cheap workers for the kibbutz. We’re fucked ».
Jusque là, c’est glauque. La tombée de la nuit n’arrange rien à l’ambiance.
Je commence à parler avec les volontaires. Gustavo est dans la chambre à côté. Il est cool et on discute pas mal, en anglais et en espagnol. Son collègue qui partage sa chambre est en vacances pour la semaine. Les autres volontaires sont sympas. Une Anglaise, un Australien, deux Sud-africains (mais je ne suis pas réellement sûr), un noir et un blanc, deux Allemandes, un Espagnol et la nationalité du dernier m’échappe. En tout on est neuf. Ils sont presque tous anglophones.
Je suis affecté d’office, sans avoir mot à dire, à la cuisine le matin et au supermarché l’après-midi. Je remplace un des Sud-Africains qui part bientôt. Je commence le boulot le lendemain, mais exceptionnellement, je vais aider dans les jardins. Levé à 5 :30, début du travail à 6h.
Ronnie vient nous chercher en tracteur. On s’assoit dans la benne. Un chien nous suit, des chats errants nous regardent passer. On part ramasser des pierres pour les disposer en forme de petits enclos d’aménagement devant certaines maisons. On ramasse des ordures. On soulève des trucs, on coupe des mauvaises herbes. C’est assez physique, un peu ennuyeux mais au moins on se dépense. On a des pauses de 20 minutes toutes les deux heures. C’est sympa. On mange à la cantine, avec notre forfait repas. Le soir, on se fait nous même à manger, sauf le mardi et le vendredi, où on va à la cantine. Le petit supermarché du kibboutz où on achète la bouffe, pratique des prix plus élevés pour les volontaires (entre 3 et 5 shekels par produit, de quoi se décourager d’acheter un paquet de chips à 6 shekels qui en coûte finalement 11). Allez savoir pourquoi…
Le soleil tape fort. Fin de la journée à 13 :30.
Ma première impression est mitigée. Il y a un réel décalage entre l’idée qu’on se fait du kibboutz de la réalité. Evidemment, je ne m’attendais pas à être accueilli comme un Roi, mais les kibboutznikim ne nous parlent pas. On vit dans un coin du kibboutz, ils nous répondent à peine quand on leur dit « Shalom » en les croisant. Je m’y attendais un peu, mais ça fait quand même bizarre. On a ici la légère impression d’être de la main-d’œuvre gratuite dont on s’occupe à peine, bonne à faire le sale boulot dont les kibboutznikim ne veulent pas se soucier.
Heureusement que les volontaires sont sympa, ça équilibre la balance.
D’autant plus que le kibbutz Lahav possède industrie très particulière en Israël…
Bientôt la suite.
Falashas d’Ethiopie : Les Falashas sont les membres d’une tribu juive perdue en Afrique, considérés comme les descendants de la reine de Saba. Retrouvés par des chercheurs il y a une quarantaine d’années, ils pratiquaient toujours le judaïsme, mais avait été coupé des autres Juifs depuis plus de mille ans. Ainsi, ils avaient adoptés d’autres pratiques et ignoraient des pans fondamentaux de la religion, apparus après leur isolement. Persécutés et parfois convertis de force en Ethiopie, Israël s’est donné comme devoir de les faire immigrer (clandestinement ou non) en Terre Sainte. Ils représentent environ 120 000 personnes en Israël. Ils ont été officiellement reconnus comme Juifs par l’Etat mais pas par une partie de l’orthodoxie. Certains se sont convertis officiellement pour ne plus laisser subsister de doute sur leur judéité. Les Falashas ont de grandes difficultés d’intégration et une large partie d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Menorah : C’est le chandelier (ou candélabre, autre acception conventionnelle) à sept branches des Hébreux, dont la construction fut prescrite en Exode 31 à 40 pour devenir un des outils du Tabernacle et plus tard du Temple de Jérusalem. C’est un symbole fondamental des Juifs et du Judaïsme, ainsi que de l’Etat d’Israël qui l’utilise notamment comme logo dans l’Administration.
Merci mon Val de nous faire partager tout ça avec toi, c'est très intéressant.
RépondreSupprimerJe suis très fière de toi, je te l'ai déjà dit, accroche toi, ca m'a l'air un peu difficile mais tellement enrichissant !
Rock'n roll!!
RépondreSupprimerMerci pour ton texte et tes impressions, et bien que ca ait l'air diffiile (et ca l'est d'ailleurs), tu vis quelque chose de différent ...
je te soutient et pense bcp a toi!! corto
Je confirme, c'est trés intéressant et en plus trés bien écrit ; on s'y croirait. Dans l'attente des suivants, gros bisous et bon courage! Jessica.
RépondreSupprimerContinue à écrire Val, tu as vraiment du talent.
RépondreSupprimerBises
Juliette