Après une longue route et une pause dans un salon de thé au milieu du désert ressemblant à un saloon tout droit sorti du Far West, nous arrivons vers 16h au Caire. On nous dépose dans la rue, comme ça, le chauffeur hurlant presque parce que nous prenons trop de temps pour descendre. Nous n’avons aucune idée d’où nous sommes. Nous n’avons aucune carte de la capitale.
LE CAIRE
Un taxi s’arrête rapidement à la vue des trois touristes que nous sommes, bardés de sacs à dos et appareils photos. Nous avions seulement le nom d’un hôtel qu’un ami du kibboutz nous avait donné : Normann hotel. Le chauffeur ne connaît pas. On lui indique donc que le lieu que nous cherchons est censé se situer aux alentours du Sheraton Hotel. La voiture démarre. La ville défile, grandes avenues, ce n’est pas le centre ville pour sûr.
Nous atterrissons dans un hôtel de luxe qui n’est ni le Sheraton, ni le Normann. A la conciergerie on nous propose une « suite junior » à 375 dollars la nuit. Avec les 30 dollars par nuit que le Jerusalem Post donne à sa journaliste pour s’héberger au Caire et notre budget serré de jeunes volontaires, ce n’est même pas la peine d’y penser. Gentiment, on nous donne une carte du Caire en nous déconseillant de sortir de l’hôtel et de ne surtout pas s’aventurer dans le centre ville, où les révoltes ont lieu en ce moment.
En regardant le papier, on arrive à situer le Sheraton. Plein centre ville. C’est parti. Nous prenons un autre taxi, nous voulons aller à notre hôtel, le Normann, dont les prix sont raisonnables. Nous prenons ce qui semble être l’autoroute (ou le périph). Les panneaux publicitaires défilent. L’un deux me fait particulièrement sourire : La version égyptienne d’America’s got talent : Arab’s got talent (Et non pas Egypt’s got talent. Il semblerait que la nation égyptienne s’identifie comme la nation Arabe).
Plus nous approchons de notre but, plus on voit des voitures stationnées au milieu de la rue, des policiers en faction, des gens traversant n’importe comment. Le taxi slalome entre les obstacles. Nous apercevons en dessous de nous (nous sommes sur une parcelle de route en hauteur), la manifestation. Encore plus loin, nous redescendons. Des camions de police encore enfumées ont été brûlés la nuit dernière, des passants immortalisent le moment avec leur téléphone portable… Fenêtres ouvertes, nous fonçons. La plupart des routes sont inaccessibles, en majeure partie à cause du plan anti-émeute établi par la police égyptienne.
A un rond-point, on commence à sentir une drôle d’odeur. Nos nez nous démangent, les yeux nous piquent. Le chauffeur nous propose des mouchoirs en papiers tandis qu’il referme rapidement les fenêtres : c’est du gaz lacrymogène, nous ne sommes vraiment pas loin des manifs. Notre conducteur, qui ne parle pas anglais, nous fait comprendre qu’il n’est pas possible d’aller en centre-ville, c’est trop dangereux et bloqué.
Le problème c’est que nous n’avons pas d’autre hôtel et que nous ne savons pas où nous sommes, lui explique-t-on. On continue à rouler, sans but. Il ne sait pas quoi nous répondre, tandis que le compteur, lui, nous indique que nous avons largement dépassé l’argent qu’on comptait dépenser pour cette course.
« An hotel, any hotel, we want an hotel, s’impatiente-t-on ». Il répète la dernière partie de la phrase en secouant les mains pour nous montrer son incompréhension. Hôtel, hôtel, ressassons nous inlassablement. Il commence à comprendre. La voiture s’écarte du centre ville, les rues deviennent plus calmes. Nous atterrissons finalement à l’hôtel « Beirut », convenable, propre. Dans la chambre, la tension retombe. On allume la télé, CNN. Gros plan sur Le Caire évidemment : Couvre-feu sur la ville dès ce soir, à 18h. On regarde nos montres, il est 17:45. On a eu chaud. Mais on ne peut rien faire. On descend à l’hôtel du restau. Super première soirée… On prévoit déjà avec Andrès de quitter la Capitale demain pour Louxor après vu les pyramides. C’est tout.
Le lendemain matin, on demande un chauffeur. Il va nous accompagner aux pyramides, rester avec nous là-bas et nous amener ensuite à la gare. Dans la rue, les militaires ont remplacé les flics. Il y en a partout : tanks, jeeps, checkpoints. Beaucoup de véhicules de police calcinés encore chauds. On doit passer par le centre-ville pour aller à Giza, aux pyramides. On passe à côté des manifs qu’on aperçoit. On se retrouve bloqués par les militaires aux alentours de la résidence de Moubarak. Mais on trouve des raccourcis, des dédalles. On s’approche de notre but. Sur le périph, apparaît soudain à notre gauche un immense immeuble, en flammes. Andrès s’exclame alors « Y a un immeuble en feu entourés de tanks, je ne veux pas être ici ! ». Je filme. Notre guide nous explique que ce bâtiment héberge le Parti National Démocratique, parti unique de Moubarak. La Révolution est bien en marche.
L’avenue qui mène aux pyramides est bondées. Les gens traversent n’importe comment. Sur notre droite, un hôtel a été pillé et brûlé. Les pompiers sont encore là. Sur notre gauche, un KFC, symbole de l’impérialisme américain, a été complètement vandalisé. On aperçoit droit devant le sommet des pyramides, derrière des palaces pour touristes fortunés.
Mais soudain, alors que nous allions à bonne allure, deux hommes ordonnent à notre chauffeur de s’arrêter. Celui-ci s’exécute une dizaine de mètres plus loin. Le duo s’approche et commence à parler à notre guide. Mon comparse et moi nous jetons des regards inquiets. Que veulent-ils ? Pourquoi notre idiot de chauffeur s’est arrêté ? L’un des deux arabes ouvre la portière arrière et s’assoit à côté de moi dans le véhicule. Je suis plus que surpris, il me serre la main en souriant : « Je travaille pour le gouvernement, l’accès aux pyramides est fermé, mais je peux vous faire rentrer sans problème, pour 50 livres, vous ferez comme tous les autres touristes, ballade à dos de chameau… ». Autour de nous, la foule s’agite, on sent la puissante tension qui règne dans la ville. « Ecoutez, reprend-t-il, il ne faut pas vous inquiéter, ici au Caire c’est un problème entre les égyptiens, entre les riches et les pauvres, il n’y a pas de problème avec les touristes ». Notre conducteur essaie lui aussi de nous apaiser : « Pas de problème, pas de problème ». C’est clair que c’est rassurant, qui t’es toi déjà, tu bosses pour le gouvernement ? Et t’as une carte ou un truc comme ça ? Nous répondons simplement à sa proposition : « Non ». L’homme n’est pas content et il sort rapidement de la voiture.
Nous rebroussons donc chemin, on demande à aller à la gare, pour prendre un train pour Louxor. On veut maintenant sortir de cette ville qui s’embrase. Le chauffeur s’exécute mais nous explique que la gare est entourée par les manifs et qu’elle est sûrement fermée ou très difficile d’accès. Sur la route, on se met à réfléchir, on change de plan. Si on va à Louxor maintenant, qui est bien enfoncé dans le Sud de l’Egypte, on risque de bien galérer pour rentrer en Israël si les évènements actuels s’amplifient. On décide d’aller directement à Dahab, dans le Sinaï, à 2h de voiture de l’Etat-Nation du peuple juif. Ainsi, on vient de passer 24h sans intérêt touristique au Caire, et nous n’allons pas visiter les temples à Louxor. De plus, on vient de perdre beaucoup d’argent entre l’hôtel, les taxis, le visa pour la Capitale… Au moins, on aura participé à la Révolution égyptienne, au bouleversement du monde arabe.
La voiture nous arrête à la même gare routière où nous étions arrivés la veille. Le chauffeur nous aide à acheter nos billets en glissant dans sa poche les billets qu’on vient de lui donner pour la course. Il nous baratine le discours arabe habituel envers les touristes « Vous êtes comme mes enfants, je veux juste que vous soyez en sécurité ! Bonne chance ! ».
DAHAB
La route est longue. On fait exactement le même chemin inverse que la veille… 7h d’asphalte pour se retrouver dans le Sinaï, tout près d’Israël. Dans le bus, on passe un film en arabe. Je ne comprends évidemment rien, mais je devine le sujet grâce aux images : La trame se déroule à Tel-Aviv où un gentil héros Arabe est poursuivi par un méchant inspecteur Juif dont le supérieur portant une kippa se terre dans un cabinet et lui donne des ordres de son bureau orné d’un drapeau d’Israël. On y voit des courses poursuites, des voitures de police israéliennes se crasher et s’embraser… Ce n’est pas une blague. De nombreux symboles du judaïsme y sont dépeints et interprétés, et les principaux personnages sont bien israéliens ET Juifs. Bref.
Nous débarquons à Dahab aux alentours de 22h. Nous n’avons aucune indication d’hôtel. Un homme nous attend pourtant à la sortie du car. Il est « branché » à l’égyptienne : cheveux teints en blond et accent tout droit sorti des séries américaines ringardes. Il travaille pour un hôtel, nous propose un prix alléchant et nous invite simplement à « venir voir la chambre pour vois si ça vous plait ». Je regarde autour de moi. Rien. On accepte de le suivre. On monte à l’arrière d’une jeep 2 places style « travaux dans le bâtiment », à l’endroit découvert où l’on pose habituellement les bagages et les choses qu’on veut transporter. Les cheveux au vent, on s’accroche à ce qu’on peut dans les virages.
L’hôtel n’est pas trop crade, il y a même une piscine, et pour moins de 10 euros la nuit, ça va. Les résidents sont tous des Arabes, et les femmes sont toutes voilées. Exténués, nous nous couchons après avoir fait un rapide tour de la station balnéaire.
Les jours qui ont suivis ont été d’une étonnante banalité touristique. Seulement quelques anecdotes sont notables.
Le type qui est venu nous chercher à la descente du bus nous propose de participer à une excursion organisée au mont Moïse. Marche jusqu’au au top dans la nuit et lever du soleil au sommet de la montagne où l’un des fondateurs du Judaïsme aurait reçu les 10 Commandements. Pendant que nous discutons du prix, il nous demande si on fume. Seulement la chicha de temps en temps. Rien d’autre ? ajoute-t-il. Non. Relax, c’est les vacances, si vous avez besoin de quelque chose, venez me voir, finit-il par dire. Intéressant.
Dans le minibus qui nous mène avec 8 autres touristes au mont Moïse, nous passons plusieurs check-points militaires. Il y a un autre minibus devant nous. Ces mesures de sécurité sont courantes et ne sont apparemment pas dues à l’atmosphère révolutionnaire ambiante. Cela semble commun dans une région qui je viens de l’apprendre est frappée régulièrement par des attaques terroristes envers les ressortissants étrangers. Mais pourtant, au milieu de la pénombre, un groupe d’une trentaine de bédouins, visages couverts de keffiehs et parés de kalachnikovs, nous barre la route. Le premier minibus est encerclé par les nomades qui commencent à hurler, arme à la main. Nous nous arrêtons juste derrière. Les touristes à l’intérieur se réveillent, Andrès annonce « Am I the only one the be worried right now ? ».
La tension monte, d’autres bédouins accourent vers le premier minibus. Les portières restent fermées. Un plus gros car arrivent derrière, décale sur la gauche pour passer. Les bédouins tentent de le bloquer mais le chauffeur ne s’arrête pas et en pousse doucement quelques-uns en manœuvrant. Finalement, le premier minibus démarre et nous suivons, sans encombres. J’observe par la vitre arrière l’attroupement s’éloigner. Que voulaient-ils ?
Les différentes étapes du séjour furent agréables. Nous avons fait du quad dans le désert, plongé dans le « Blue Hole », magnifique cavité d’une centaine de mètres de profondeur dans la Mer Rouge où l’on peut admirer quantité de Corail et de poissons exotiques. Les quelques jours ont vite défilés et nous retournons rapidement en Israël, à bord d’un minibus privé mandaté par l’hôtel. Nous sommes 4 touristes à l’intérieur, en direction de la frontière. Le chauffeur nous demande nos nationalités. Un type répond rapidement « Australia » avec un fort accent anglo-saxon. Le conducteur rétorque « Israhil ? (Israël en arabe) ». No, Australia. Israhil ?! No, AU-ST-RA-LIA. Ca va. On continue la route, bercés par des versets du Coran qu’il met à fond dans l’autoradio.
Le passage à la frontière m’a fait le même choc qu’à l’arrivée en Egypte. Nous n’avons eu aucun problème pour passer. En faisant mon premier pas en Israël, je ressens toute cette pression qui s’évanouit. Je me sens en sécurité.