mercredi 29 décembre 2010

Le prolétariat israélien


Mivrag. C’est le nom de l’usine dans laquelle je travaille. Mivrag fabrique toutes sortes de vis, des pièces uniques pour des voitures ou des tanks, aux pièces génériques pour la construction de meubles. Mivrag produit également des munitions (dont nous ne voyons que très rarement la couleur) à destination de l’armée. Les volontaires et les oulpanistes, nous bossons dans la partie de l’industrie qui s’occupe d’empaqueter les vis pour des commandes spéciales, dans des boites de petites tailles. On travaille dans ce qui ressemble à un grand atelier, à l’écart du complexe principal.

Je suis maintenant un ouvrier, et socialiste s’il vous plait. Tous les matins à 7h, je me dirige vers l’usine qui est à 5 minutes à pied de ma chambre.
Là-bas, on est accueilli par notre chef, un café et des biscuits. On commence rapidement.
Le plus souvent, je suis assigné à une machine qui s’apparente à un énorme entonnoir. En haut, je fais basculer un énorme caisson rempli de vis avec l’aide d’une autre machine. Les vis ainsi déversées tombent en petite quantité à l’autre bout de l’entonnoir dans une petite boite en carton, elle-même posée sur une balance qui m’indique le nombre de pièces recueillies.
Quand la boite est pleine (la contenance change selon les modèles de vis bien entendu), on y colle un sticker référentiel et le tout passe à l’étape suivant, l’emballage. 

Mon outil de travail
 
Un jour, on m’a donné pour un certain type de vis des stickers avec des informations écrites en anglais, ainsi que le nom d’une autre entreprise, alors que normalement, c’est toujours MIVRAG qui est inscrit sur les infos. Etant à court d’autocollants, je me dirige vers l’ordinateur pour en réimprimer. Un peu plus tard, mon chef me fait remarquer mon erreur. J’ai imprimé des stickers avec des inscriptions hébraïques. « No, no. That is going to arabs coutries. You must change stickers ». Je comprends mieux maintenant le nom d’une entreprise écran, les inscriptions en anglais…

Il est 9h, nous avons notre première pause. Une employée, aidée par une volontaire, arrive avec un chariot rempli de sandwichs faits maison : Thon, fromage, jambon de poulet… C’est parti pour une demi-heure de petit déjeuner autour d’une table de jardin dans l’énorme hangar adjacent.

On reprend le boulot, puis on a une nouvelle pause à 10h45. On va enfin déjeuner à 12h30 et on reprend à 13h30. Encore une pause de 14h45 à 15h.
Nous opérons les mêmes gestes jusqu’à 15h30 environ, heure à laquelle on doit ranger les vis qui trainent un avec aimant au bout d’une tige métallique. C’est notre balai.

A 16h, après avoir pointé, on est enfin libres.

Mivrag, la partie où nous travaillons


Là, commencent nos activités « extrascolaires ». On a pris l’habitude avec quelques camarades de jouer au football après le boulot, jusqu’au dîner. Parfois, des enfants du kibboutz jouent avec nous, et je dois avouer qu’ils atteignent presque, et de façon inquiétante, notre niveau. Certains ont 7 ou 8 ans. Et quand c’est les ados qui jouent contre nous, ce n’est même pas la peine de penser à gagner une partie.
On arrive au diner crado. Ensuite c’est la douche et la glande qui commence. Certains trainent dans leur chambre, sous leur porche, dans la salle des ordinateurs ou dans la salle TV. Moi je fais un peu de tout.
Quand le pub est ouvert (Les mardis, jeudis et vendredis), on y va. Le pub ressemble à tous les pubs de petites villes occidentales. Il fait sombre à l’intérieur, le bar est en bois, les tables aussi. On doit préalablement acheter une carte pour pouvoir payer nos boissons. Le barman n’accepte pas l’argent. C’est le kibboutz…
On fait aussi des feus devant notre porche et on boit quelques bières…

Vendredi dernier, on est sortis en boite, à 15 minutes à pied du kibboutz. Là-bas, après que mon pote hongrois ait baragouiné en hébreu au videur qu’on était des jeunes immigrants, on passe la fouille corporelle et passent devant la caisse. Même tchatche. On rentre gratuitement.
Boite de province, mais sympa. La musique, assez inconnue. Les bières ne sont pas chères, les shots aussi.

On rentre vers 3h, à pied. A mi-chemin, alors que la majorité de mon groupe ne marche pas droit, une petite voiture citadine s’arrête à notre niveau. Une jeune fille, seule, nous demande où nous allons : Kibboutz Ein Hashofet. « Ok, I take you ». On était 5, et avec elle ça faisait 6. On est rentrés difficilement dans son véhicule.
La gentillesse de cette nana, à qui on n’avait rien demandé, s’apparente à la bienveillance des israéliens. Certes, ils ne connaissent pas la politesse et sont plutôt rudes, mais on sent que la plupart d’entre eux cherchent aider.

La vie ici est jalonnée entre le travail et la fête. Les groupes sont constitués. Chacun semble avoir trouvé sa place.

Les oulpanistes et les volontaires sont vraiment mélangés, et il est intéressant de connaître leurs histoires, leur relation avec le judaïsme.
Il y a des Juifs qui ont été élevés dans l’idéologie du Sionisme. D’autres encore sont nés de parents israéliens qui ont quittés le pays avant ou après la naissance de leur enfant. Il y a ceux qui ont seulement un grand parent juif, et qui ont le droit à l’immigration. Ceux-là sont souvent des immigrants « économiques ». Il y a celui qui ne peut pas prouver sa judaïté car sa grand-mère maternelle a perdu tous ses papiers l’attestant. Heureusement que sont grand-père en a, ce qui lui permet de faire le programme.
Il y a ces Sud-américains, non immigrants et non-juifs, et qui participent à l’oulpan en payant (ça coûte très cher quand on n’est pas immigré et qu’on n’a pas de bourse), juste car ils sont intéressés par Israël et le Judaïsme. Il y a encore cet américain, dont on a m’a raconté qu’il s’est échappé de Brooklyn et de sa famille juive ultra-orthodoxe pour venir ici, et mener la vie dont il a envie.
Et puis il y a les Russes. La plus grosse « communauté » parmi les oulpanistes. On ne leur parle que très peu, vu qu’ils ne parlent pas anglais. Ils sont assez avenants, mais il faut faire l’effort d’aller les voir. Un soir, on a entendu de la musique à un niveau assez fort en provenance de l’une de leurs chambres. Avec mes amis américains, australiens et européens, on est allés toquer pour y participer. On est entrés et avant que je puisse dire « Shalom », on me tend un shot de whiskey et un verre de coca… « Lehaïm » se lance-t-on mutuellement. De la bouffe russe, faite maison, était à notre disposition sur les tables.
La musique américaine, le néon blanc qui éclaire la pièce, les Russes qui dansent et parlent en russe… Assis sur un coin de lit, je me rends compte de ces moments uniques que je suis entrain de vivre. Je ne les vivrais nulle part ailleurs.

Déjà, il est l’heure d’aller se coucher. On reprend le boulot le lendemain, inlassablement. Maintenant qu’on se connaît mieux, on commence à déconner entre collègues volontaires et oulpanistes. Avec mon pote hongrois, on se jette des cartons, des vis, et on essaye de saboter le travail de l’autre juste avant que notre supérieur vienne contrôler. On change les stickers, on rajoute des vis dans les boites, on change les données des machines. Mon chef doit me prendre pour un attardé avec tous les trucs que mon collègue m’a fait faire.

Le boulot d’ouvrier, c’est aussi trouver des petites choses pour pimenter sa journée, car sinon, chaque jour ressemble exactement au précédent. Cruellement.
C’est d’ailleurs en pensant à ça et en en parlant avec mon père, que ce dernier m’a dit : « Bah ouais, le seul truc sympa à faire dans une usine, c’est un syndicat ». C’est tellement vrai. Nous sommes abrutis par un travail partitionné au millimètre. Ainsi, la seule chance d’avoir un minimum d’activité intellectuelle, c’est de faire un syndicat, de monter une association, pour défendre une lutte ou des droits. La puissance de nos unions ouvrières en France proviendrait-elle tout simplement de ce phénomène ? On se fait tellement chier à l’usine, que si on nous donne un local pour se réunir, on va se donner à fond pour défendre une idée, pour faire évoluer nos conditions. On n’a tellement rien d’autre à faire, qu’on est forcément motivés, donc puissants… En tout cas si on me donnait la possibilité maintenant, je monterais directement un syndicat des « Travailleurs volontaires étrangers », et je réclamerais plus de pauses et un salaire plus élevé.




 

dimanche 12 décembre 2010

Du Sud au Nord


Je quitte enfin Lahav, son industrie porcine (unique en Israël), son supermarché avec Dorit, et les gamines de 16 ans du kibboutz qui souvent nous visitaient Gustavo et moi afin d’affiner leur talents de séduction fraichement révélés. Je quitte aussi les autres volontaires, que je n’ai finalement pas vraiment connus, et que je n’ai pas eu envie de connaître.
Deux jours avant mon départ, deux nouveaux bénévoles sont arrivés. Même réaction que Gustavo, même réaction que moi. « Wait a week », c’est ce que tout le monde leur dit.

Moi, j’aurais finalement attendu quasiment un mois avant de partir. C’est qu’au final, on s’y habitue au kibboutz. On commence à connaître le lieu, son boulot, le rythme et les habitants.

Après plusieurs appels au KPC, j’ai enfin obtenu un « choix » : on me propose deux kibboutz.
Le premier, Yotvata, est situé tout au Sud du pays à la frontière de la Jordanie, à 30 km d’Eilat. Le kibboutz possède une très grande industrie laitière et cultive de nombreux fruits et légumes. La population y est pourtant plus faible qu’à Lahav. Et c’est le désert, encore plus au milieu de nulle part d’où je suis actuellement. Le boulot est dans les champs.
Le second, Ein Hashofet, est situé dans le Nord du pays, entre Haïfa et Nazareth. C’est un kibboutz réputé pour son environnement vert et très agréable. Il possède un oulpan destiné principalement aux nouveaux immigrants, étudiants pour la plupart désirant continuer leurs études supérieures en Israël. Son industrie principale est une usine de plastique et d’électronique. Le boulot ici, c’est ouvrier à l’usine.

Après avoir longtemps réfléchi, discuté avec des proches et la famille lors de Hannoucah, j’ai choisi Ein Hashofet. C’est sûr que le boulot proposé n’est pas très motivant, mais d’autres facteurs entrent en jeu. Une ambiance étudiante, plus de volontaires, un kibboutz près de ma famille et un environnement verdoyant.

On est vendredi matin, je quitte Lahav. Je pose les clés de ma chambre sur la table de nuit, mais je garde le porte-clés Heineken « ouvre bouteille de bière » qui y était accroché. Simplement magique, ce porte-clés.
Les autres volontaires travaillent, sauf Gustavo qui a pris son Vendredi pour jouer un match de foot à Tel-Aviv avec les kibboutzniks. Je lui dis au revoir et on se donne rendez-vous en Europe. Ronnie, le leader, ne peut m’accompagner à l’arrêt de bus car il est en « meeting », je fais donc du stop. L’homme qui s’arrête avec sa Subaru flambant neuve me fait la discussion. Il s’occupe de la gestion financière de Lahav, mais habite dans un autre kibboutz. Son père a été ministre d’Israël et connaissait Jean-Paul Sartre. Intéressant.
Je n’ai dit au revoir à personne en partant.

Dans le bus, je suis léger. Etrange mois que je viens de passer.

Tel-Aviv. Le temps est pourri. Je retrouve une amie qui m’héberge gentiment pour le week-end. On passe un shabbat reposant, cassant le rythme de travail que j’ai habituellement.

On arrive vite au dimanche matin. J’ai rendez-vous en début d’après-midi à Ein Hashofet. Je prends deux bus. Le premier jusqu’à Yoqnéam, petite ville du Nord, tandis que le second m’emmène sous la tempête jusqu’à mon nouveau kibboutz. J’appelle pendant le trajet la coordinatrice des volontaires, ma nouvelle leader, Cathy. Elle ne répond pas. Après 4 appels infructueux, j’arrive dans le kibboutz, seul. Il pleut des trombes, je suis trempé. Je rentre dans le premier bâtiment que je vois : l’infirmerie. « I’m looking for Cathy ». On l’appelle. Un volontaire vient me chercher en parka jaune de pêcheur, à bord d’une voiturette électrique. Il m’emmène au bureau de Cathy.
Elle se présente, on se serre la main. Elle m’explique longuement le fonctionnement du kibboutz. Elle me donne en plus un fascicule qui résume ses explications. Elle me donne des draps, et des vêtements de travail : un gros pull, deux pantalons, trois t-shirts, des nouvelles chaussures avec protection, ainsi qu’une grosse veste kaki militaire. Il pleut toujours, et l’orage commence à gronder.
A Lahav, on ne m’avait rien donné pour travailler, ni même des chaussures pour le jardin. Autant dire qu’ici ça change.

Cathy m’accompagne à ma chambre que je vais partager avec un hollandais qui est parti cette semaine à Jérusalem. Je ne le rencontre donc pas.
Je tourne la clé dans la serrure et j’ouvre. Des murs blancs. Propres. Pas de tag. Un vrai lit, avec une vraie couette, un oreiller propre. Une armoire en bon état, un vrai bureau entre les deux couches. Le bâtiment a été refait il y a 1 an. Ça fait du bien.
La salle de bains, une vraie salle de bains. Le carrelage est blanc. C’est propre, tout simplement.

Ma nouvelle leader me laisse, me caresse maternellement l’épaule pour me dire au revoir et ajoute que le kibboutz est très heureux de m’avoir. Je souris.

Assis sur mon lit, j’observe. Je respire. Ça commence plutôt bien. Les locaux sont vraiment agréables.

Déjà, j’entends les premiers volontaires arriver du travail. Il est 16h. Un équatorien s’approche. Je travaille dès demain à l’usine avec lui et deux autres volontaires. Il m’explique que le travail consiste en empaqueter des tournevis dans leurs boites, avant qu’ils soient expédiés vers les revendeurs. C’est sympa, parce qu’on a le vendredi et le samedi de congé, contrairement à tous les autres qui n’ont que le samedi. Bonne nouvelle.
Un mexicain se joint à nous. Puis un Sud-Africain vient frapper à ma porte. Pour l’instant ils sont vraiment sympathiques. Tous les gens que je rencontre prennent le temps de se présenter.

Nous vivons côte à côte avec les oulpanistes, de jeunes immigrés pour la plupart, ici pour apprendre l’hébreu et continuer leurs études en Israël.
A l’heure du diner, l’équatorien vient me chercher dans ma chambre. On part pour le dining room. On est rejoints par le mexicain, une américaine, un américain oulpaniste et d’autres sud-américains. Oulpanistes et volontaires sont mélangés.
Une anglaise s’assoie à notre table. Elle vit depuis ses 13 ans en France. Elle porte une large étoile de David en collier. « You’re Jew ? » me demande-t-elle, comme l’ont fait trois personnes auparavant. « Seulement par mon père ». Elle aussi, tiens donc. On finit le diner tous les deux à discuter du Judaïsme.

Elle me fait ensuite visiter la salle des ordinateurs, organisée comme une salle de classe, avec beaucoup de tables sur lesquelles les étudiants en hébreu font leurs devoirs. Je rencontre là un jeune roumain, qui vient de faire son alyah, et qui a très envie de visiter la France. Il se pose à une table avec ses cours et son ordinateur. Un oulpaniste hongrois, à l’allure de bucheron, vient me saluer et consulte ses mails.
Je retrouve là l’oulpaniste américain, Josh. Ca fait deux ans qu’il vit en Israël, mais a fait son alyah il y a quelques mois seulement. Il parle hébreu. L’armée, c’est en août prochain pour lui. Il n’a pas de famille dans le pays, il est seul. C’est plutôt courageux à vingt ans. Je me demande alors : Qu’est-ce qui peut pousser un jeune Américain, bien installé dans la première puissance économique mondiale, à partir seul dans un pays lointain à 20 ans, commencer une nouvelle vie, difficile, sans argent, sans repères ?
La réponse est idéologique. Contrairement peut-être aux Russes et aux Éthiopiens, qui ont aussi fui une certaine misère économique, cette immigration doctrinale, en provenance des pays riches (qui est d’ailleurs de plus en plus faible), incarne l’esprit même du sionisme : vivre en tant que Juif (non pratiquant bien souvent) dans l’Etat-Nation du peuple juif. La simple idée du peuple vivant sur sa Terre, et non plus en diaspora.

Sur ces questionnements, je retourne dans ma chambre. L’orage fait trembler les murs. J’attends maintenant mon premier jour de travail.